Par Alpha Oumar Koulibaly
Date de publication: 7 mai 2021
Note sur l’Auteur : M. Alpha Oumar Koulibaly est un Juriste-Fiscaliste. Il est titulaire d’un Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité, Université de Rouen Normandie (France).
La loi de finances pour 2021[1] en son article 16 avait prévu que les exonérations fiscales et douanières accordées aux contribuables sans fondement légal ou sur la base d’une convention non ratifiée par l’Assemblée nationale devrait être annulées par arrêté du Ministre du Budget à compter du 1er avril 2021.
C’est désormais chose faite ! Par arrêté du 27 avril 2021[2], le Ministre du Budget acte la volonté du législateur et met en œuvre l’annulation de toutes les exonérations fiscales et douanières ne découlant pas d’une loi ou d’une convention dûment ratifiée par l’Assemblée nationale. Dans cet acte réglementaire, il est précisé que l’opposabilité à l’Administration, des clauses fiscales ou douanières contenues dans une convention est subordonnée à la ratification de celle-ci par l’Assemblée nationale et tous les arrêtés d’exemptions fiscales et douanières ne découlant pas d’une loi ou d’une convention dûment ratifiée sont annulés.
L’arrêté du Ministre a été complété par une note d’information de l’administration fiscale qui vient étayer davantage l’application de la mesure et apporter quelques précisions sur son application[3].
Dans les lignes qui suivent, nous apporterons une brève réflexion sur la portée de cette mesure ainsi que sur ses conséquences à l’endroit des contribuables.
Une mesure traditionnelle avec un vent de renouveau
Il est évident que plusieurs entreprises bénéficient d’exemptions fiscales qui ne soient pas fondées légalement et qui par conséquent, impactent foncièrement la mobilisation des ressources internes. Il était donc temps de faire un toilettage pour ne conserver que les exonérations strictement fondées sur une disposition légale.
Par ailleurs, il faut souligner que si cette volonté actée d’encadrement des exonérations fiscales et douanières a pris une dimension considérable depuis sa diffusion, elle n’est pas pour autant nouvelle, car le législateur, dans la loi de finances pour 2011[4] avait entrepris la même démarche en supprimant toutes les exonérations fiscales ou douanières ne découlant pas de l’application d’une loi, d’une convention ou d’un code.
Si l’on peut observer quelques nuances mineures entre les deux mesures notamment sur l’insistance de la ratification des conventions, celles-ci demeurent par essence, symétriques.
Dès lors, nous pouvons affirmer que l’administration fiscale n’avait donc pas pu assurer son rôle d’exécution pour la mise en œuvre de la mesure de 2011, d’où peut être, la volonté renouvelée du législateur sur la question des exonérations fiscales et douanières.
Une spontanéité discutable
Certes, il était temps d’encadrer les exonérations fiscales et douanières accordées pèles-mêles et qui sapent les efforts de l’administration fiscale dans sa mission de mobilisation des recettes. Toutefois, il y a lieu de noter que la spontanéité de la mesure pourrait engendrer des effets moins attendus.
En effet, en pratique nous observons plusieurs exonérations découlant de conventions d’établissement ou de conventions ne nécessitant pas forcément une ratification qui étaient accordées à des contribuables et qui, nous pouvons le deviner à juste titre, avaient déjà établi leurs plannings financiers sur plusieurs années en prenant en comptes les économies d’impôts résultant de ces conventions. Ainsi, le fait de remettre en cause spontanément les exonérations, pourrait bouleverser les plannings de ces contribuables et relativement conduire à des difficultés financières non négligeables sans occulter les conséquences sociales que cela pourrait engendrer.
Aussi, il faut souligner que l’arrêté emploie le terme « annulation » sans en préciser les concours. Devons nous croire à un effet rétroactif de la mesure ? l’interrogation demeure, car l’administration fiscale semblerait adopter une démarche de réclamation des impôts et taxes auprès des contribuables titulaires de ces conventions ou du moins, ceux non encore couverts par la prescription triennale. Cette situation risque d’engendrer d’innombrables contentieux avec les contribuables qui ne semblent visiblement pas faire de concessions.
Nous pensons d’ailleurs que c’est en prévision de ces potentiels contentieux que le Ministère du Budget a souhaité inviter les contribuables titulaires de conventions non ratifiées, à fournir leur convention dans un bref délai, pour un examen de conformité des clauses fiscales et douanières par rapport aux dispositions légales[5].
Une décision qui risque de ralentir le traitement de certaines opérations
Enfin, il faut noter que l’annulation spontanée des exonérations fiscales et douanières ne découlant pas d’une loi ou de conventions non ratifiées pourrait également pénaliser le traitement des transactions internes.
En effet, les contribuables qui opèrent avec d’autres contribuables qui brandissaient des conventions prévoyant des exonérations seront désormais tenus de faire vérifier à chaque fois, la validité de ces exonérations, soit par leurs conseils ou par l’administration fiscale. Donc, le dénouement de la transaction avec ces types de contribuables dépendra nécessairement de la célérité du conseil ou de la réponse de l’administration fiscale. Ainsi, tout retard dans la vérification de la validité des exonérations issues de ces conventions retarderait par conséquent, le reversement de la taxe à collecter, au trésor public.
L’on se souvient encore du courrier du Ministre du Budget relatif à l’application des conventions[6] dans lequel le Ministre invitait le Directeur National des Impôts à veiller à l’application stricte des clauses exonératoires contenues dans les conventions auxquelles l’Etat est partie et interdisant l’émission des certificats d’exonération. Pour rappel, ces certificats était un gage pour l’application des exonérations en faveur des contribuables conventionnés et une forme de bouclier fiscal pour les autres contribuables interagissant avec eux.
Ainsi, avec l’absence des certificats d’exonération et cette mesure d’annulation de toutes les conventions non ratifiées par l’Assemblée nationale, on peut légitiment soutenir qu’un travail de longue haleine attend certains contribuables.
Pour conclure, nous pensons que la loi de finances 2021 aurait pu prévoir des dispositions transitoires pour l’application de la mesure afin de permettre aux contribuables bénéficiaires des exonérations remises en cause de mieux s’organiser pour faire face aux conséquences de la mesure.
En sus, pour ne pas pénaliser les opérations courantes, il serait opportun de songer au rétablissement des certificats d’exonération pour faciliter la tâche aux multiples contribuables qui opèrent avec des entreprises conventionnées et bénéficiaires d’exonérations, et indirectement limiter le risque fiscal latent. Dans ce cadre, il reviendrait au Ministre du budget de délivrer, par ses services, un certificat d’exonération qui préciserait les impôts et taxes concernés à l’issue d’un examen des conventions au cas par cas.
[1] Loi L/2020/0029/AN du 30 décembre 2020 portant loi de finances pour 2021.
[2] Arrêté A/2021/816/MB/CAB/SGG du 27 avril 2021 portant application des dispositions de l’article 16 de la loi de finances pour l’année 2021.
[3] Courrier N°1492/MB/DNI/CIGE/SAL/2021 du 28 avril 2021.
[4] Article 13 de la loi L/2011/003/CNT du 31 mai 2011 portant loi de finances pour l’année 2011.
[5] Communiqué du Ministre du Budget (sans date).
[6] Courrier N°1574/MB/CAB du 1er novembre 2017