

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
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COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
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Première chambre
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Audience publique du 17 février 2022
Pourvois : n° 162/2021/PC du 30/04/2021 n° 163/2021/PC du 30/04/2021
Affaires :
Cabinet d’Avocats Fernand CARLE
(Conseils : Cabinet BILE-AKA, BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour)
Contre :
Monsieur Oumar G
(Conseil : Maître Urbain Marius NTSIBA, Avocat à la Cour)
Et Société Civile Immobilière dite SCI ATARI
(Conseils : Cabinet BILE-AKA, BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour)
Contre : Monsieur Oumar G (Conseil : Maître Urbain Marius NTSIBA, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 033/2022 du 17 février 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, présidée par Madame Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE et assistée de Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier, a rendu à son audience publique du 17 février 2022 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Messieurs : César Appolinaire ONDO, Président,
Birika Jean-Claude BONZI, Juge
Mesdames : Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Juge
Monsieur : Sabiou MAMANE NAÏSSA, Juge, rapporteur
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°162/2021/PC du 30 avril 2021, formé par le Cabinet BILE-AKA, BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour, sis au 7, boulevard Latrille, Cocody, 25 BP 945, Abidjan 25, République de Côte d’Ivoire, agissant au nom et pour le compte du Cabinet d’avocats Fernand CARLE, sis 117, avenue Théophile MBEMBA, BP 607, Pointe-Noire, République du Congo, pris en la personne de son représentant légal, dans la cause qui l’oppose à monsieur Oumar G, domicilié à Brazzaville, quartier Batignolles, Plateau des 15 ans, Brazzaville République du Congo, ayant pour conseil Maître Urbain Marius NTSIBA, Avocat à la Cour, cabinets sis, 55, Rue Lénine-croisement avenue de la paix, face à hôtel le Paternel, Moungali-Brazzaville-République du Congo, et le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 30 avril 2021 sous le n°163/2021/PC, formé par le Cabinet BILE-AKA, BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour, sis au 7, boulevard Latrille, Cocody, 25 BP 945, Abidjan 25, République de Côte d’Ivoire, agissant au nom et pour le compte de la Société Civile Immobilière dite SCI ATARI, société de droit congolais, dont le siège est sis, 12-14, avenue Fayette TCHITEMBO, BP 1081, Pointe-Noire, République du Congo, dans la cause qui l’oppose à monsieur Oumar G, domicilié à Brazzaville, quartier Batignolles, Plateau des 15 ans, Brazzaville, République du Congo, ayant pour conseil Maître Urbain Marius NTSIBA, Avocat à la Cour, cabinets sis, 55, Rue Lénine-croisement avenue de la paix, face à hôtel le Paternel, Moungali-Brazzaville-République du Congo, en cassation de l’arrêt n°118 rendu le 11 décembre 2020 par la Cour d’appel de Pointe-Noire, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, en dernier ressort ;
EN LA FORME : Reçoit l’appel ;
AU FOND : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne le Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI aux dépens. » ;
A l’appui de leurs recours, le Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI invoquent chacun deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à leurs requêtes annexées au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Sabiou MAMANE NAISSA, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, que pour procéder au recouvrement de leurs créances, le Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI, ont fait servir à leur débiteur monsieur Philippe P, un commandement aux fins de saisie immobilière de l’immeuble cadastré n°351, section D, d’une superficie de 883,51m² ; qu’alors que la procédure suivait son cours, monsieur Oumar G, se disant propriétaire de cet immeuble, saisissait le Tribunal de grande instance de Pointe-Noire d’une demande en distraction dudit immeuble ; que par jugement n°073 rendu le 11 février 2017, le tribunal faisait droit à sa demande en ordonnant la distraction sollicitée ; que sur recours du Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI, la Cour d’appel de Pointe-Noire, rendait l’arrêt objet du présent pourvoi ;
Sur la jonction de procédures
Attendu que par mémoire en réponse reçu le 02 novembre 2021, monsieur Oumar G a sollicité la jonction des recours numéros 162/2021/PC du 30 avril 2021 et 163/2021/PC de la même date ;
Attendu en effet, qu’il est constant que les deux recours se rapportent à la même décision et opposent les mêmes parties ; qu’il y a lieu de les joindre aux fins d’y statuer par un seul arrêt, en application de l’article 33 du Règlement de procédure de la Cour de la CCJA ;
Sur le premier moyen de cassation tiré de la violation de la loi
Vu l’article 28 bis du Règlement de procédure de la CCJA ;
Attendu que les requérants font grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article 308 alinéa 1 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce que la cour d’appel a déclaré recevable et fondée la demande en distraction introduite par monsieur Oumar GAMBI, sur la simple présentation d’un acte de vente sous seing privé alors, selon le moyen, que ledit acte, non enregistré à la conservation foncière, n’est pas opposable aux créanciers saisissants ;
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 308 de l’Acte uniforme susvisé « Le tiers qui se prétend propriétaire d’un immeuble saisi et qui n’est tenu ni personnellement de la dette, ni réellement sur l’immeuble, peut, pour le soustraire à la saisie, former une demande en distraction avant l’adjudication dans le délai prévu par l’article 299 alinéa 2 ci-dessus.
Toutefois, la demande en distraction n’est recevable que si le droit foncier de l’État partie dans lequel est situé l’immeuble consacre l’action en revendication ou toute autre action tendant aux mêmes fins. » ; qu’il résulte de ces dispositions que le prétendu propriétaire qui peut introduire une demande en distraction doit, in fine, prouver effectivement sa propriété sur l’immeuble conformément au droit interne ;
Or attendu qu’en République du Congo, l’article 56 de la loi n°17-2000 du 30 décembre 2000 portant réforme de la propriété foncière dispose « Tous faits et conventions entre vifs, à titre onéreux ou gratuit, tous les procès-verbaux de saisie immobilière, tous jugements, tous actes, ayant pour effet de transmettre, déclarer, modifier et éteindre un droit réel immobilier, d’en changer toute autre condition de son inscription, tous baux d’immeubles excédant douze années, doivent être rendus publics par une inscription au livre foncier et désignés conformément aux documents cadastraux. Cette inscription doit intervenir dans les deux mois à compter de la signature des actes ou décisions énumérés ci-dessus. » ; que l’article 57 de la même loi prévoit que « Tout droit réel relatif à un immeuble immatriculé n’existe, à l’égard des tiers, que du fait et du jour de sa transcription sur le titre par le Conservateur des Hypothèques et de la Propriété Foncière. » ; qu’enfin, l’article 58 de ladite loi précise que « Les actes translatifs de propriété ne produisent effet entre les parties qu’à compter de leur transcription dans le titre foncier » ;
Et attendu que de l’examen des pièces du dossier de la procédure, il ne ressort nullement que l’acte sous seing privé relatif à la vente de l’immeuble immatriculé cadastré n°351 a été enregistré et transcrit dans le titre foncier ; qu’il s’en suit que ledit acte ne peut être opposable aux tiers saisissants ; qu’il résulte des dispositions susmentionnées que la propriété de monsieur Oumar G, établie par acte sous seing privé, n’est pas opposable aux saisissants le Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI ; que subséquemment, sa demande en distraction ne peut prospérer ; qu’ainsi, en déclarant recevable la demande en distraction de monsieur Oumar G, la Cour d’appel de Pointe-Noire a violé les dispositions de l’article 308 de l’Acte uniforme visé au moyen, et sa décision mérite cassation ; qu’il échet, dès lors pour la Cour, de casser l’arrêt attaqué, et d’évoquer l’affaire sur le fond, conformément aux dispositions de l’article 14 alinéa 5 du Traité de l’OHADA ;
Sur l’évocation
Attendu que par acte d’appel en date du 13 février 2017, le Cabinet d’avocats Fernand CARLE et la Société Civile Immobilière ATARI ont relevé appel du jugement n°073 rendu le 11 février 2017 par le Tribunal de grande instance de Pointe-Noire, dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de saisie immobilière et en premier ressort ;
En la forme :
Déclare monsieur OUMAR G recevable en son action ;
Rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Société Immobilière « ATARI » et le Cabinet d’Avocats Fernand CARLE ;
Au fond :
Ordonne la distraction de la propriété cadastré n°351, section D, d’une superficie totale de 883,51m² appartenant à OUMAR GAMBI de l’assiette de la saisie objet des commandements aux fins de saisie immobilière du 13 mai 2016 ;
Ordonne en conséquence la cessation des poursuites engagées par la Société Immobilière ATARI et le Cabinet d’Avocats Fernand CARLE sur cet immeuble ;
Ordonne en outre mainlevée des commandements aux fins de saisie immobilière du 13 mai 2016 ;
Condamne la Société Civile Immobilière ATARI et le Cabinet d’Avocats Fernand CARLE aux dépens. » ;
Attendu qu’à l’appui de leur appel, la Société Civile Immobilière ATARI et le Cabinet d’Avocats Fernand CARLE font valoir que le premier juge, pour ordonner la distraction de l’immeuble saisi, s’est fondé sur un acte de vente produit par ce dernier, valant vente entre messieurs Oumar G et Philippes P, leur débiteur, alors que ledit acte, en ce qu’il s’agit d’un acte sous seing privé, aurait dû être tenu pour inopposable, faute d’avoir été soumis à la formalité d’enregistrement, en vertu des articles 141 et 145 du code général des impôts ; qu’ils considèrent que le droit de monsieur Oumar G n’est pas opposable aux créanciers hypothécaires dans la mesure où il ne fait l’objet d’aucun titre de propriété délivré par la conservation foncière ; qu’ils demandent en conséquence à la cour d’appel de censurer le jugement querellé qui a ordonné, à tort, la distraction de l’immeuble saisi ;
Attendu que pour sa part, monsieur Oumar G conclut au rejet de tous les moyens d’infirmation du jugement soulevés par les appelants et partant, à la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions ; qu’il soutient que la sanction de l’inobservation de l’article 141 évoqué par les appelants est la responsabilité personnelle de l’autorité judiciaire ou administrative quant aux droits d’enregistrement et quant à l’article 145, il met simplement une obligation à la charge des tribunaux d’ordonner le dépôt de l’acte pour l’enregistrement ; qu’ayant introduit sa demande en distraction huit (08) jours avant l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 299 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, monsieur Oumar G fait valoir que les conditions de recevabilité de son action sont remplies conformément à l’article 308 de l’Acte uniforme visé au moyen ; qu’enfin, il fait relever que les articles 57 et 58 de la loi n°17-2000 du 30 décembre 2000 portant réforme de la propriété foncière ne peuvent conditionner l’exercice d’une action dans une matière réglementée par le droit communautaire qui fixe lui-même les conditions de recevabilité de l’action en distraction ou en nullité ;
Sur la recevabilité de l’appel
Attendu qu’en l’espèce, l’appel de la Société Civile Immobilière ATARI et le Cabinet d’Avocats Fernand CARLE, ayant été interjeté dans les forme et délai légaux, sera déclaré recevable ;
Sur la demande en distraction
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié la cassation de l’arrêt entrepris, il y a lieu de dire que c’est à tort que le premier juge a reçu la demande en distraction introduite par monsieur Oumar G et, ordonné la distraction de l’immeuble saisi ; que dès lors, il échet pour la Cour de céans d’infirmer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, de déclarer irrecevable la demande en distraction introduite par monsieur Oumar G ;
Sur les dépens
Attendu que monsieur Oumar G ayant succombé, sera condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Ordonne la jonction des procédures sous le numéro 162/2021/PC du 30 avril 2021 et sous le numéro 163/2021/PC du 30 avril 2021 ;
Casse l’arrêt n°118 rendu le 11 décembre 2020 par la Cour d’appel de Pointe Noire ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Infirme le jugement n°073 rendu le 11 février 2017 par le Tribunal de grande instance de Pointe-Noire ;
Statuant à nouveau :
Déclare irrecevable la demande en distraction introduite par monsieur Oumar GAMBI ;
Le condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président Le Greffier