

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
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COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
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Deuxième chambre
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Audience publique du 09 mai 2019
Pourvoi : n° 132/2015/PC du 04/08/2015
Affaire :
Afriland First Bank Côte d’Ivoire SA
(Conseils : Cabinet DIOMANDE VAFOUNGBE, Avocats à la Cour)
Contre :
Société Groupement Togolais d’Assurances/Compagnie Africaine d’Assurances IARDT dite GTA-C2/IARDT SA
(Conseils : Maître Yéo MASSEKRO et Maître Kouévi AGBEKPONOU, Avocats à la Cour)
Arrêt N°143/2019 du 09 mai 2019
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant, en son audience publique du 09 mai 2019 où étaient présents :
Messieurs :
Mamadou DEME Président,rapporteur,
Idrissa YAYE, Juge,
Robert SAFARI ZIHALIRWA, Juge,
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge,
Mariano Esono NCOGO EWORO, Juge,
Et Maître Jean-Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le recours enregistré au greffe le 04 août 2015 sous le n° 132/2015/PC et formé par la Société Afriland First Bank Côte d’Ivoire, anciennement OMNIFINANCE puis ACCESS BANK-Côte d’Ivoire, société anonyme ayant son siège à Abidjan-Plateau, Avenue Noguès, Immeuble Woodin Center, 01 BP 6928 Abidjan 01, ayant pour conseils le Cabinet DIOMANDE Vafoungbe, Avocats à la Cour à Abidjan, demeurant à la villa 72, Résidence « Les Perles I», Rue 2, Cocody II Plateaux, 28 BP 1186 Abidjan 28, dans la cause qui l’oppose à la Société Groupement Togolais d’Assurances/Compagnie Africaine d’Assurances IARDT, en abrégé GTA-C2/IARDT SA, société anonyme dont le siège est à Lomé, Route d’Atakpamé, BP 3.298-Lome, représentée par son Directeur général, ayant pour conseil Maître YEO MASSEKRO, Avocat à la Cour, demeurant au Plateau, immeuble SCIA 9, 5ème étage, 04 BP 2811 Abidjan 04, et Maître Kouévi AGBEKPONOU, Avocat à la Cour, demeurant angle 10, Avenue du 24 janvier/317, Rue Jeanne d’Arc, quartier Assivito, 1 BP 1327 Lomé 1,en cassation de l’Arrêt n°112 rendu le 27 mars 2015 par la Cour d’appel d’Abidjan, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière d’exécution et en dernier ressort ;
Déclare la société Afriland First Bank-CI recevable en son appel ;
L’y dit cependant mal fondée en l’état ;
L’en déboute ;
Confirme le jugement querellé ;
Condamne la société Afriland First Bank-CI aux dépens » ;
La société demanderesse invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à sa requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Mamadou DEME, Premier Vice-Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que par convention signée le 16 juillet 2003, Afriland First Bank a consenti un prêt de un milliard huit cent cinq millions (1.805.000.000) de F CFA à la Société Ivoirienne de Télécommunication, dite SITEL, remboursable sur une période de 12 mois ; qu’en garantie de ce prêt, le GTA a donné en nantissement des obligations BOAD qu’elle détenait, pour une valeur de sept cent soixante-neuf millions (769.000.000) de F CFA ; qu’en outre, en exécution d’un protocole d’accord signé le 9 juillet 2004 entre Afriland First Bank, le GTA et la SGI Togo, et d’une convention de gage d’espèces signée le 1er décembre 2004 entre la SGI Togo et Afriland Bank, il a été affecté en garantie du prêt un gage d’espèces portant sur la somme de un milliard cent millions (1.100.000.000) de FCFA, déposée par la SGI-Togo dans un compte ouvert dans les écritures de Afriland First Bank ; qu’Afriland, qui soutient que la SITEL n’a pas respecté ses engagements, a obtenu du Président du Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau l’Ordonnance n°3.106/2007 du 09 novembre 2007, faisant injonction à la SITEL de lui payer la somme d’un milliard quatre cent soixante-seize millions quatre cent soixante-quinze mille huit cent soixante-cinq (1.476.475.865) F CFA ; que le même tribunal a déclaré mal fondée l’opposition formée par la SITEL contre cette ordonnance, par Jugement n°887/CIV4-A du 02 avril 2009, lequel a condamné la SITEL à payer à Afriland Bank la somme d’un milliard quatre cent soixante-seize millions quatre cent soixante-quinze mille huit cent soixante-cinq (1.476.475.865) F CFA ; que l’appel formé par la SITEL contre ce dernier jugement a été déclaré irrecevable par Arrêt n°498 du 06 novembre 2009 ; que par exploit en date du 24 août 2009, Afriland First Bank a signifié le jugement et l’arrêt précités à la SITEL, lui faisant commandement de lui payer la somme de un milliard huit cent vingt-cinq millions neuf cent cinquante-six (1.825.956 F CFA ) à laquelle elle évaluait sa créance ; que par un autre exploit en date du 04 juin 2013, elle a fait sommation à la SITEL, au GTA et à la SGI-Togo de lui payer la somme de deux milliards cinq cent cinquante-huit millions huit cent soixante-trois mille huit cent quatorze (2.558.863.814) F CFA, représentant selon elle l’encours de la dette de la SITEL dans ses livres ; que cette sommation n’ayant pas été suivie d’effet, elle a sollicité et obtenu du Président du Tribunal de commerce d’Abidjan l’Ordonnance d’injonction de payer n°002182/2013 en date du 31 juillet 2013 condamnant solidairement le GTA et la SGI Togo à lui payer la somme d’un milliard huit cent cinq millions (1.805.000.000) de FCFA ; qu’en exécution de cette décision, Afriland First Bank a fait pratiquer une saisie conservatoire de créances entre ses propres mains, par exploit du 08 janvier 2014, sur le compte ouvert par la SGI Togo dans ses livres ; que la saisie a été convertie en saisie-attribution de créances suivant exploit du 23 janvier 2014 ; que par exploit du 19 mars 2014, le GTA a formé opposition contre l’Ordonnance d’injonction de payer n° 002182/2013 du 31 juillet 2013 susvisée, et par Jugement n°825 en date du 03 juillet 2014, le Tribunal de commerce d’Abidjan y faisant droit, a déclaré Afriland First Bank irrecevable en sa demande de paiement ; que par l’arrêt frappé du pourvoi, la Cour d’appel d’Abidjan a confirmé ce jugement ;
Sur les deux moyens réunis
Vu l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) ;
Attendu que la requérante fait grief à la Cour d’appel de l’avoir déboutée de sa demande en paiement, aux motifs que la créance réclamée ne remplit pas les conditions fixées à l’article 1er de l’AUPSRVE, pour être fondée sur le protocole d’accord tripartite du 09 juillet 2014 et la convention de gage d’espèces du 21 décembre 2004, lesquels sont l’objet d’une procédure en cours devant la Cour suprême, à la suite du pourvoi formé contre l’Arrêt n°769/2013 du 27 décembre 2013 de la Cour d’appel d’Abidjan, alors que la procédure devant la Cour Suprême invoquée n’enlève pas à la créance les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité prévus par le texte susvisé ; qu’elle fait valoir que l’action du GTA pour faire annuler la convention de gage d’espèces du 21 septembre 2004 a abouti à deux décisions, à savoir, d’une part, le Jugement civil n°253 du 21 février 2013 du Tribunal de première instance d’Abidjan, lequel a déclaré cette demande en annulation de la convention de gage sans objet, et d’autre part, l’Arrêt n°769 du 27 décembre 2013 de la Cour d’appel d’Abidjan, qui a confirmé le jugement sur ce point ; qu’ainsi, c’est la procédure d’exécution de la convention de gage d’espèces qui a été remise en cause par ces décisions et non la validité de ladite convention, de sorte que celle-ci produit tous ses effets entre les parties ; que par ailleurs, ni le contrat de prêt du 16 juillet 2003, ni le protocole d’accord tripartite du 09 juillet 2014, en vertu desquels le GTA a consenti à garantir le prêt à hauteur de 1.805.0000 F CFA, n’ont été remis en cause et encore moins fait l’objet d’un recours devant une quelconque juridiction ; que la créance réclamée à la GTA, née de son engagement à se porter caution du remboursement des dettes de la SITEL dans les livres de Afriland First Bank à hauteur de 1.805.000.000 F CFA, est donc certaine et liquide ; qu’elle est également exigible, la défaillance du débiteur principal qui est la SITEL n’étant pas sérieusement discutée ; qu’ainsi, en retenant que la créance réclamée ne remplit pas les conditions posées à l’article
1er de l’AUPSRVE, la Cour d’appel a violé le texte visé au moyen ;
Attendu qu’il résulte de l’article 1er de l’AUPSRVE que « Le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer. » ;
Attendu que pour débouter en l’état Afriland First Bank de sa demande en paiement, le juge d’appel énonce :
« Considérant que la demande en recouvrement de la créance contre les cautions est fondée sur le protocole d’accord tripartite du 09 juillet 2004, la convention de gages-espèces du 21 décembre 2004 ;
Considérant qu’il est constant que ces conventions sont l’objet de procédure en cours devant la Cour Suprême suite à l’arrêt réformatif n° 769/2013 du 27 décembre 2013 de la Cour d’appel de céans ;
Considérant que la demande en recouvrement de la Société Afriland First
Bank Côte d’Ivoire n’est pas conforme à l’article 1er de l’Acte uniforme de l’OHADA pourtant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution qui exige pour l’ouverture d’une procédure de recouvrement, une créance certaine, liquide et exigible ; Qu’il convient de rejeter la demande en l’état. » ;
Mais attendu qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier que le protocole d’accord tripartite du 09 juillet 2004 fait l’objet d’une procédure pendante devant une quelconque juridiction ; que l’Arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan n°769/2013 du 27 décembre 2013 a confirmé le Jugement n°253 du 21 février 2013 du Tribunal de première instance d’Abidjan, en ce qu’il a déclaré sans objet la demande de la société GTA en annulation de la convention de gages d’espèces du
21 décembre 2004 ; que le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, il ne constitue nullement un obstacle aux poursuites en paiement de la société Afriland First Bank ; qu’il convient de casser l’arrêt et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que suivant exploit en date du 04 août 2014, la société Afriland First Bank a relevé appel contre le Jugement n°825/2014 rendu le 03 juillet 2014 par le Tribunal de commerce d’Abidjan qui, saisi par la société GTA d’une opposition à l’Ordonnance d’injonction de payer n°002182/2013 du 31 juillet 2013, a statué ainsi qu’il suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ; Reçoit la société Groupement Togolais d’Assurances/Compagnie Africaine d’Assurances -IARDT (GTA-C2A/IARDT) en son opposition ;
Constate-la non-conciliation des parties ;
L’y dit bien fondée ;
Déclare la société AFRILAND FIRST BANK irrecevable en sa demande de recouvrement ;
Condamne les défenderesses aux dépens. » ;
Attendu qu’il échet de déclarer l’appel recevable en la forme ;
Au fond :
Sur la caducité de l’ordonnance d’injonction de payer
Attendu qu’au soutien de son opposition à l’ordonnance d’injonction de payer, la société GTA invoque la nullité de l’exploit du 26 septembre 2013 par laquelle l’ordonnance d’injonction de payer lui a été signifiée ; qu’elle fait valoir que ledit exploit lui a été signifié « à parquet » à Abidjan, alors qu’aussi bien dans le protocole d’accord tripartite du 09 juillet 2004 que dans la convention de gages d’espèces du 21 décembre 2004, les parties ont élu domicile en leur siège respectif, à savoir à Abidjan pour la société Afriland et à Lomé pour les sociétés GTA et SGI Togo;
Attendu que pour rejeter cette prétention, le tribunal énonce que l’élection de domicile faite par les parties dans leurs conventions « … reste somme toute dans le domaine contractuel, et ne peut former obstacle à l’application des dispositions légales en matière de signification des actes de procédure, et encore moins prévaloir sur elles, au point d’entacher d’irrégularité l’acte signifié conformément aux dispositions légales en la matière. Il y a lieu dès lors de rejeter ce moyen. » ;
Attendu qu’en se déterminant par ces motifs, alors qu’il n’est pas discuté que dans leurs conventions les parties ont régulièrement élu domicile au lieu de leur siège social respectif, que l’exploit argué de nullité a été servi « à parquet » au Tribunal de commerce d’Abidjan, et qu’il ne résulte des mentions de l’exploit aucune diligence de l’huissier instrumentaire dont il serait résulté que celui-ci ait vainement tenté la signification de l’ordonnance au domicile élu par le GTA ou à la personne de l’un de ses représentants, le tribunal a méconnu la force obligatoire desdites conventions ; qu’il échet d’infirmer le jugement et de déclarer l’exploit nul et de nul effet ;
Attendu qu’il résulte de l’article 7 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution que « Une copie certifiée conforme de l’expédition de la requête et de la décision d’injonction de payer délivrée conformément aux dispositions de l’article précédent est signifiée à l’initiative du créancier à chacun des débiteurs par acte extra-judiciaire. La décision portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les trois mois de sa date » ;
Attendu qu’en application de ce texte, il échet de déclarer l’Ordonnance d’injonction de payer n° 002182/2013 rendue le 31 juillet 2013 par la juridiction présidentielle du Tribunal de commerce d’Abidjan non avenue, de déclarer par suite l’opposition fondée, et de débouter la société Afriland First Bank de sa demande en paiement ;
Qu’il y a lieu de la condamner en outre aux entiers dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Casse l’Arrêt n°112 rendu le 27 mars 2015 par la Cour d’appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Infirme le Jugement n°825/2014 rendu le 03 juillet 2014 par le Tribunal de commerce d’Abidjan ;
Déclare l’opposition de la société GTA fondée ;
Déclare l’Ordonnance d’injonction de payer n°002182/2013 du 31 juillet
2013 non avenue par application de l’article 7 de l’AUPSRVE ;
Déboute la société Afriland First Bank de sa demande en paiement ;
La condamne en outre aux entiers dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président Le Greffier