

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
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COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
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Troisième chambre
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Audience publique du 27 juin 2019
Pourvoi : n° 106/2018/PC du 11/04/2018
Affaire :
K Lallé Jean (Conseil : Maître Jean Charles TOUGMA, Avocat à la Cour)
Contre :
Banque Internationale du Burkina devenue United Bank for Africa (Conseil : Maître Barterlé Mathieu SOME, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 208/2019 du 27 juin 2019
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 27 juin 2019 où étaient présents :
Messieurs Djimasna N’DONINGAR, Président
Fodé KANTE, Juge
Armand Claude DEMBA, Juge, Rapporteur
et Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le renvoi, par arrêt n°011 du 08 juin 2017 de la Cour suprême du Burkina Faso, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, de l’affaire enregistrée au greffe de la Cour de céans le 11 avril 2018 sous le n° 106/2018/PC, et opposant K Lallé Jean, domicilié à Ouagadougou au secteur 06, ayant pour conseil Maître Jean Charles TOUGMA, Avocat à la Cour, demeurant à Ouagadougou, à la Zone du Bois, secteur 13, 11 BP 316, à la Banque Internationale du Burkina, en abrégé BIB, devenue United Bank for Africa, en abrégé UBA, Société Anonyme avec Conseil d’Administration dont le siège est à Ouagadougou, au n° 1340, Avenue Dimdolobsom et ayant pour conseil Maître Barterlé Mathieu SOME, Avocat à la Cour ;
En cassation de l’arrêt n° 16, rendu le 21 mars 2014 par la Cour d’appel de Ouagadougou (Burkina Faso), dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
- Déclare la requête de Monsieur K Jean Lallé irrecevable :
- Condamne l’appelant aux dépens » ;
Le requérant invoque à l’appui de son recours les cinq moyens de cassation tels qu’ils figurent aux pièces annexées au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Armand Claude DEMBA ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, courant 1989, le sieur K Lallé Jean avait, pour les besoins de ses activités, bénéficié de deux prêts de 20 000 000 et 3 000 000 FCFA de la Banque Internationale du Burkina (BIB) ; que, par exploit en date du 9 février 2010, la BIB lui faisait adresser sommation interpellative, le demandant de payer sans délai la somme reliquataire de 12 216 380 FCFA ; que par requête datée du 22 février 2010, elle sollicitait et obtenait du Président du Tribunal de Commerce de Ouagadougou une ordonnance n°40/2010 du 25 février 2010 enjoignant à K Lallé Jean de lui payer la somme de 11 966 380 FCFA en principal ; que sur opposition du débiteur qui contestait le montant réclamé, le Tribunal de Commerce rendait le 11 novembre 2010 le jugement n°175 par lequel il déclarait ladite opposition non fondée; que l’appel interjeté contre cette décision sera déclaré irrecevable par la Cour de Ouagadougou suivant arrêt n°16 du 21 mars 2014 ; que sur pourvoi du sieur K, la Cour Suprême du Burkina Faso, par arrêt n°11 du 08 juin 2017, se déclarait incompétente et renvoyait l’affaire devant la Cour de céans ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que dans son mémoire en réponse daté du 11 avril 2018, la BIB fait valoir que, dans son pourvoi en cassation devant la Cour Suprême du Burkina Faso, K Lallé Jean n’a invoqué nulle part des dispositions de droit
OHADA ; que « constatant l’inopportunité de ce recours » devant la CCJA, il a « frauduleusement » introduit deux nouveaux moyens portant sur la violation d’un Acte uniforme pour « surprendre la religion de la Cour » ; que son recours doit être déclaré irrecevable ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 15 du Traité de l’OHADA, « les pourvois en cassation prévus à l’article 14 sont portés devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage soit directement par l’une des parties à l’instance soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes » ;
Que l’article 51 ibidem dispose quant à lui, in fine, que « dès réception de ce dossier, les parties sont avisées de cette transmission par la Cour. Les dispositions des articles 23 à 50 du [Règlement de procédure] sont applicables, sous réserve des adaptations imposées par le mode de saisine » ;
Qu’en l’espèce, il est exact que le pourvoi en cassation fait par K Lallé Jean devant la Cour Suprême ne fait allusion qu’aux dispositions du code de procédure civile et du code civil burkinabés ; que néanmoins, à la suite de la lettre d’information que lui a adressée le greffier en chef, le recourant a ajouté dans un mémoire daté du 12 décembre 2018 des moyens de cassation fondés sur la « violation des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution » ; que cette pratique, habituellement usitée par les plaideurs, est une adaptation admise par la Cour en application des articles 23 à 51 de son Règlement de procédure ; qu’il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité étant infondée, le recours du sieur K doit être déclaré recevable ;
Sur les quatrième et cinquième moyens réunis, tirés de la violation des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles susmentionnés, en ce que la BIB a obtenu la condamnation du demandeur au pourvoi à payer une créance qui n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible ou dont la preuve de l’existence n’a pas été rapportée, alors, selon les moyens que, d’une part, K Lallé Jean n’était plus débiteur et que, d’autre part, « la preuve pour le banquier ne peut se faire que par des relevés et documents bancaires et non par lettre de l’appelant ou la simple sommation interpellative » ; que pour avoir donc statué comme elle l’a fait, la Cour d’appel expose sa décision à la cassation ;
Attendu que les articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution disposent respectivement que : « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer » et que : « celui qui a demandé la décision d’injonction de payer supporte la charge de la preuve de sa créance » ;
Qu’en l’espèce, il appert que dans sa requête aux fins d’injonction de payer, la BIB a simplement indiqué qu’elle est créancière de K Lallé Jean de la somme de 11 966 380 FCFA résultant de « divers concours financiers » et ce, sans document véritablement probant, en dehors de la lettre de réclamation du 15 janvier 2009 et de la sommation interpellative du 09 février 2009 en réponse à laquelle ledit K aurait reconnu être débiteur de la somme réclamée ;
Que par ailleurs, la BIB a précisé dans sa requête qu’après avoir constaté que le débiteur faisait des versements suivant son bon vouloir, elle a procédé à la clôture juridique de son compte le 29 septembre 2009, « rendant ainsi sa créance exigible » ; qu’or, il est de jurisprudence constante de la Cour de céans que, tant que le compte n’est pas clôturé contradictoirement, le solde ne répond pas aux critères de l’article 1er de l’Acte uniforme précité ;
Que de tout ce qui précède, et face à la forte contestation de K Lallé Jean, il y a lieu de dire que la BIB n’ayant pas fait le rapport de la preuve des caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité de sa créance, c’est à tort que la Cour d’appel de Ouagadougou a confirmé la décision des premiers juges ; que, par conséquent, il échet de casser son arrêt et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’analyser les moyens restants ;
Sur l’évocation
Attendu que par acte d’huissier de justice daté du 08 décembre 2008, K Lallé Jean a interjeté appel du jugement n°175, rendu le 11 novembre 2010 par le Tribunal de Commerce de Ouagadougou et dont le dispositif est le suivant : « Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort ;
Déclare l’opposition recevable en la forme ;
Au fond la déclare mal fondée ;
Condamne en conséquence monsieur K Lallé Jean à payer à la BIB la somme principale de 11 966 380 FCFA, outre celle de 5000 F au titre de frais de greffe et 200 000 FCFA au titre des frais irrépétibles » ;
Qu’au soutien de son appel, il expose qu’après avoir bénéficié de deux prêts de 20 000 000 et 3 000 000 FCFA de la BIB, il a fait des versements et virements d’un montant total de 40 273 357 FCFA pour l’apurement de cette dette ; que pourtant, ce montant, largement supérieur à la dette exigible, n’a pas été pris en compte par la banque dans la computation de sa dette lorsqu’elle lui a envoyé l’ordonnance d’injonction de payer du 25 février 2010 ; que c’est la raison pour laquelle il a fait opposition à l’ordonnance dont s’agit ; que le jugement ayant déclaré son recours mal fondé, il demande son infirmation pour violation des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et la condamnation de la BIB à lui verser la somme de 600 000 000 FCFA au titre de frais exposés, non compris les dépens ;
Attendu qu’en réplique, la BIB prétend, d’abord, que l’acte d’appel de K Lallé Jean est nul pour défaut d’indication de la personne habilitée à représenter la banque conformément à l’article 141 du Code de procédure civile burkinabé ; qu’ensuite, elle fait valoir que les moyens tirés de la violation des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme idoine sont infondés ; qu’enfin, l’intimée demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner l’appelant à lui payer la somme de 2 500 000 FCFA pour résistance abusive et vexatoire et celle de 600 000 FCFA au titre de frais exposés, non compris les dépens ;
Sur la nullité de l’exploit de signification de l’acte d’appel
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier que dans la requête introductive d’instance de la BIB, il est clairement indiqué que son directeur général est la personne habilitée à la représenter en justice ; que si cette précision n’a pas été faite dans l’exploit de signification de l’acte d’appel du 08 décembre 2008, la nullité n’est pas pour autant encourue dès lors que les parties se sont mutuellement connues au cours de l’instance et que la BIB ne dit pas en quoi cette omission lui porte préjudice ; qu’il convient de rejeter cette exception soulevée par l’intimée ;
Sur la violation des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen des quatrième et cinquième moyen de cassation, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement n°175 rendu le 11 novembre 2010 par le Tribunal de Commerce de Ouagadougou et, statuant à nouveau, de débouter la BIB de sa demande en injonction de payer pour défaut de certitude, de liquidité et d’exigibilité de sa créance ;
Sur les autres points
Attendu que les sommes d’argent sollicitées par les parties au titre de « résistance abusive et vexatoire » ou de « frais exposés » ne sont pas fondées, les diverses procédures s’étant déroulées conformément aux textes en vigueur et sans démonstration d’apparente mauvaise foi ; qu’il échet de les rejeter ;
Attendu la BIB ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Déclare le recours recevable ;
Casse l’arrêt n° 16, rendu le 21 mars 2014 par la Cour d’appel de Ouagadougou ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Déclare l’appel recevable ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement n°175 rendu le 11 novembre
2010 par le Tribunal de Commerce de Ouagadougou ;
Statuant à nouveau :
Déboute la Banque Internationale du Burkina, en abrégé BIB, de sa demande en injonction de payer pour défaut de certitude, de liquidité et d’exigibilité de la créance réclamée ;
Déboute toutes les parties de leurs demandes infondées ;
Condamne la BIB aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président Le Greffier