

COUR CONSTITUTIONNELLE
Arrêt N° AC 37 du 06 novembre 2019
Audience plénière
AFFAIRE
Contrôle de conformité – Exception d’inconstitutionnalité de l’article 134 de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême ;
DEMANDEUR
Cour Suprême
NATURE
Constitutionnelle
DECISlON
Voir dispositif
AU NOM DU PEUPLE DE GUINEE
La Cour Constitutionnelle, en son audience plénière non publique du 06 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- Monsieur Mohamed Lamine BANGOURA : Président,
- Monsieur Cécé THEA : Conseiller, rapporteur ;
- Madame Rouguiatou BARRY, Conseillère ;
- Monsieur Mamadou Mountaga BAH : Conseiller ;
- Madame Fatoumata MORGANE : Conseillère,
- Monsieur Ahmed Therna SANOH : Conseiller ;
Avec l’assistance de Maître Lanciné Kanko KOUROUMA, Greffier ;
A rendu l’Arrêt dont la teneur suit :
Sur le renvoi par la Cour Suprême, par l’Arrêt n o 11 du 03 octobre 2019 de la Chambre
Pénale de ladite Cour de l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 134 de la loi L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême soulevée par Me Adama Kourouma, avocat à la Cour, pour le compte de Monsieur Sam Alexandre Z, homme d’affaires ;
Vu la Constitution ;
Vu la Loi Organique L/2011/006/CNT du 10 Mars 2011 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ;
Vu la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême;
Vu l’Arrêt n o 11 du 03 octobre 2019 enregistré au Greffe de la Cour le 09 octobre 2019, sous le numéro 10/2019, par lequel la Cour Suprême demande l’examen de l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 134 de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Cécé THEA, en son rapport ;
EN LA FORME :
1.Considérant que l’article 94 de la Constitution en son alinéa 6 dispose : « La Cour Constitutionnelle statue sur : « … l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant les juridictions. »,
2.Considérant que l’article 96 alinéa 4 et 5 de la Constitution disposent respectivement que : « Tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction. », que « La juridiction saisie sursoie à statuer et renvoie l’exception devant la Cour Constitutionnelle. Dans ce cas, la Cour Constitutionnelle statue dans les quinze jours de sa saisine » ; qu’en l’espèce, la Cour
Constitutionnelle est saisie par la Cour Suprême par son Arrêt n o 11 du 03 octobre 2019 suite à l’exception qui y a été soulevée ; qu’il y a lieu dès lors de déclarer la saisine recevable ;
AU FOND :
3. Considérant que par requête en date du 09 septembre 2019, Maître Adama KOUROUMA a soulevé in liminé litis, une exception d’inconstitutionnalité de l’article 134 de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême au motif que l’article susvisée en disposant « Sont déclarés déchus de leurs pourvois, les condamnés à une peine emportant privation des libertés qui ne sont pas détenus, si la loi ne les en dispense ou n’auront pas été mis en liberté provisoire, avec ou sans caution. Il suffit au demandeur, pour que son pourvoi soit reçu, de se présenter au parquet pour subir sa détention » est inconstitutionnelle en ce qu’elle porte atteinte au droit d’accès à un tribunal et au droit à un procès juste et équitable consacrés par l’article 9 de la Constitution ;
4. Considérant que l’article 9 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés, pour les motifs et dans les formes prévues par la loi.
Tous ont le droit imprescriptible de s’adresser au juge pour faire valoir leurs droits face à l’Etat et ses préposés.
Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’une procédure conforme à la loi.
Tous ont droit à un procès juste et équitable, dans lequel le droit de se défendre est garanti.
Le droit à l’assistance d’un Avocat est reconnu dès l’instant de l’interpellation ou de la détention.
La loi établi les peines nécessaires et proportionnées aux fautes qui peuvent les justifier » ;
5. Considérant que l’article 134 incriminé de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême dispose que : « Sont déclarés déchus de leurs pourvois, les condamnés à une peine emportant privation des libertés qui ne sont pas détenus, si la loi ne les en dispense ou n’auront pas été mis en liberté provisoire, avec ou sans caution. // suffit au demandeur, pour que son pourvoi soit reçu, de se présenter au parquet pour subir sa détention »,
6. Considérant que la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême qui contient l’article 134 incriminé, a reçu le brevet de constitutionnalité par l’arrêt N OAC 029 du 19 juillet 2017 rendu par la Cour Constitutionnelle dont le dispositif s’énonce en ces termes : « Déclare contraires à la Constitution les articles : 7 al 3, 11, 20, 37 al.3, 89, 210 al.1, 211, 215 de la Loi Organique ;
Déclare conformes à la Constitution sous les réserves ci-dessus formulées, les articles : 10, 12, 17 point 3, 21, 32a1.1, 36, 45, 53, 54, 56, 84, 96, 97, 98, 99, 116, 170, 171, 196, 200, 210, 214, 223 al.2 et 229 ;
Déclare conforme à la Constitution le reste des dispositions de la Loi Organique ;
Dit que les dispositions déclarées inconstitutionnelles sont séparables de l’ensemble de la Loi Organique ;
Dit que la présente Loi Organique sera correctement structurée, numérotée et portera un titre ;
Dit que la Loi Organique pourrait être promulguée à l’exception des dispositions inconstitutionnelles et compte tenu des réserves ci-dessus formulées … » ; que par l’arrêt sus-énoncé, l’article incriminé a été à priori déclaré conforme à la Constitution en ce que son dispositif ne le classe ni dans la catégorie des articles déclarés contraires à la Constitution, ni dans celle des articles déclarés conformes sous réserves d’interprétation ;
7.Considérant en outre, qu’en vertu des articles 99 de la Constitution et 62 de la Loi Organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle « Les Arrêts de la Cour Constitutionnelle sont sans recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale », « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ont effet obligatoire et exécutoire à l’égard de toutes les personnes physiques et morales et de tous les organes de l’Etat… » ; que dès lors, que les décisions de la Cour Constitutionnelle sont revêtues de l’autorité de la chose jugée et insusceptibles de recours, la requête introduite par Me Adama KOUROUMA contre une disposition déclarée conforme à la Constitution par la Cour Constitutionnelle est mal fondée ;
7.Considérant toutefois, que l’article 62 alinéa 5 de la Loi Organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011 dispose « la Cour Constitutionnelle peut interpréter le contenu même d’une loi lorsque notamment cette dernière est attaquée devant elle. Une telle interprétation intervient dans l’intérêt de la sauvegarde de la loi en vue de garantir aux juridictions nationales et aux organes de l’Etat une application conforme à la Constitution. » ; qu’en vertu de cette prérogative, la Cour Constitutionnelle est amenée à parer à toute insécurité juridique et judiciaire qui sera de nature à porter atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ;
8.Considérant qu’à l’examen, it ressort que l’article 9 de la Constitution consacre le droit imprescriptible à toute personne de s’adresser au juge pour faire valoir son droit face à l’Etat et ses préposés pour l’avènement d’un procès juste et équitable ; qu’autrement dit, afin d’assurer l’effectivité de l’accès au tribunal, les pouvoirs publics ont l’obligation positive de lever tout obstacle qui peut entraver cet accès ;
9.Considérant que l’article 134 incriminé fixe les conditions de réalisation d’un équilibre entre l’exigence du respect de la décision de condamnation à une peine privative de liberté et le droit d’une personne à faire réexaminer sa cause par la voie du pourvoi en cassation ; que le dernier alinéa de l’article susvisé est à cet égard d’une clarté et d’une intelligibilité, quand il donne au condamné libre assurance à la recevabilité de son pourvoi et, donc, à la jouissance du droit d’accès à un tribunal, du droit à un procès juste et équitable et du droit d’être défendu en ces termes : « il suffit au demandeur, pour que son pourvoi soit reçu, de se présenter au parquet pour subir sa détention » ; que par ailleurs, l’esprit général de la Loi Organique relative à la Cour Suprême renforce le droit d’accès à une juridiction en précisant en son article 70 que « toute partie qui a intérêt est recevable à se pourvoir en cassation, même si la disposition qui lui est défavorable, ne profite pas à son adversaire » ,
10.Considérant que de surcroît, le requérant n’a pas rapporté la moindre preuve d’une quelconque restriction de son droit d’accès à la Cour Suprême ; que mieux, selon ses propres déclarations, il lui a été permis de saisir cette haute juridiction par le pourvoi en cassation qu’il y a introduite le 09 mai 2018 ; que dès lors, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée est mal fondée ;
11.Considérant qu’enfin, et en tout état de cause, c’est moins l’application de l’article 134 querellé qui fait débat en ce que Monsieur Z est sous le coup d’un mandat d’arrêt décerné à l’audience par la Cour d’Appel de Conakry mais plutôt l’application de l’article 139 de la même Loi Organique qui indique clairement que « Nonobstant les dispositions de l’article 80 point 5, les mandats de dépôt ou d’arrêt décernés par le Tribunal correctionnel ou par la Cour d’Appel continuent de produire leur effet en dépit du pourvoi » ; que dès lors l’article 134 dont s’agit ne fait nullement obstacle à l’exercice des droits consacrés par les dispositions de l’article 9 de la Constitution ;
PAR CES MOTIFS :
Dit que c’est à bon droit que la Cour Suprême a saisi la Cour Constitutionnelle ; Déclare recevable ra saisine en exception d’inconstitutionnalité de ladite Cour ;
Déclare mal fondée l’exception d’inconstitutionnalité soulevée ;
Déclare conforme à la Constitution l’article 134 de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême ;
Ordonne sa notification au Président de la République, au Président de l’Assemblée
Nationale, au Président de la Cour Suprême et aux parties ;
Ordonne sa publication au Journal Officiel de la République ;
Ordonne sa transcription dans les registres à ce destinés ; Ainsi fait et jugé, les jour, mois et an que dessus.
Pour expédition conforme à la minute
Conakry, le 06 novembre 2019
Le Greffier Le Président
Maître Lanciné kanko KOUROUMA Dr Mohamed Lamine BANGOURA