Par Djakaria Diakité
Date de publication: 8 juin 2024
Note dur l’Auteur: Monsieur Djakaria Diakité, est un Juriste fiscaliste, Manager au Cabinet Nimba Conseil. Il est titulaire d’un Master 2 en droit des affaires- Droit OHADA de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia.
La réalisation d’un projet minier de grande envergure exige de son prometteur, des capacités techniques avérées et nécessite des investissements financiers colossaux. Pendant les différentes phases que comporte un projet minier, l’investisseur est tenu de faire face à des charges importantes à l’occasion d’une part, des acquisitions de machines, des équipements, des intrants et des services et d’autre part, aux frais financiers liés aux emprunts contractés auprès des bailleurs de fonds.
Avant d’entrée en production, les charges supportées pendant les phases de recherche et de construction de la mine y compris les acquisitions de biens et services pour lesdits travaux, induisent une sortie de cash-flow[1] significatif. Parmi les facteurs qui surenchérissent les dépenses et rendent la facture bien plus salée aux investisseurs, demeurent en première loge les impôts et taxes.
Conscient qu’une forte imposition pendant les phases d’investissement rendrait moins attractif le secteur minier Guinéen malgré la convoitise qu’il suscite par la quantité et la qualité du potentiel de ses ressources minières, la Guinée, à travers son Code minier en vigueur , a tout de même tenu promesse en intégrant ce facteur compétitif dans la politique minière par l’adoption des mesures d’allégements fiscaux et douaniers en faveur des projets de recherches et d’exploitation dans le secteur minier.
Les exonérations prévues par le code minier en vigueur visent essentiellement les importations d’équipements figurant sur la liste minière[2] reparties en différentes catégories :
- Première catégorie : les équipements, matériels, gros outillages, engins et véhicules figurant sur le registre des immobilisations des sociétés concernées, à l’exclusion des véhicules de tourisme ;
- Deuxième catégorie : les consommables destinés à l’extraction et à la concentration des substances minières brutes, y compris le fioul lourd à l’exclusion des carburants, lubrifiants courants et autres produits pétroliers ;
- Troisième catégorie : les consommables destinés à la transformation sur place des substances minières en produits semi-finis ou finis, y compris le fioul lourd et les lubrifiants spécifiques, à l’exclusion des carburants, lubrifiants courants et autres produits pé
Du point de vue fiscal, l’exonération qui est accordée pendant l’importation de biens et équipements sus indiqués concerne principalement la TVA liquidée en douanes. S’agissant de la TVA domestique c’est-à-dire celle grevant les achats locaux des biens et services, les entreprises minières ne bénéficient pas de véritables exemptions à l’exception des exonérations conventionnelles.
En effet, l’activité minière est censée s’exercer dans le cadre d’une politique minière encourageant l’exploitation et la transformation sur place des minerais. A cet égard, la TVA par son mécanisme de fonctionnement doit être collectée par les entreprises sur leur production peu importe que celle-ci soit destinée à la vente sur le marché intérieur ou à l’exportation bien que cette dernière soit imposée au taux 0%.
Voyons à présent, quelques détails.
L’assujettissement à la TVA, source de contraintes de trésorerie pour les entreprises minières
Le paiement de la TVA sur les achats locaux de biens et services par les entreprises minières pendant les phases d’investissement participe à créer une situation de crédit TVA d’autant que les sociétés n’en collectent pas suffisamment. En effet, le secteur minier guinéen tarde encore à s’investir davantage dans la transformation sur place des minerais. L’essentiel des minerais extraits est directement exporté au taux 0% de la TVA. La politique de transformation sur place du minerai semble timide et les prometteurs attendent que les conditions énergétiques, écologiques et environnementales soient réunies pour construire de véritables raffineries conformément à leurs engagements.
Cet état de fait contribue à placer certaines entreprises minières dans une situation de crédit TVA structurel d’autant qu’elles bénéficient du droit à déduction de la TVA dans les conditions du droit commun[3] et n’arrivent pas en collecter. Tant bien que le minerai extrait du sol n’est pas transformé sur place et qu’une partie importante de la production est vendue sur le marché intérieur, il s’en dira que le stock de crédit accumulé par les entreprises minières sera difficile à éponger. A ce propos, selon les estimations prudentes de la Direction Générale des Impôts, le trésor public reste devoir à ce jour près d’un (1) milliards de dollars[4] de crédit TVA aux entreprises minières.
Un casse-tête qui grève foncièrement la trésorerie de ces entreprises et qui risque de briser l’équilibre financier et rompre la continuité de certains projets miniers.
Quid de l’encadrement de la TVA des sociétés minières.
Le remboursement des crédit TVA, une solution légale qui peine à convaincre
En principe, le crédit de TVA n’est pas remboursable et ne peut que faire l’objet de report. Cependant, le législateur fiscal a par exception, placé un certain nombre de contribuables sous le régime de remboursement. Sont ainsi éligibles au régime du remboursement de TVA, les entreprises exportatrices, les entreprises de transport international[5] et les entreprises minières.
Pour bénéficier du remboursement de TVA, le demandeur doit en sus des critères d’éligibilité sus exposés, suivre certaines formalités et exigences à l’occurrence :
- Le dépôt d’une demande de remboursement à la suite d’un crédit de TVA successif de 3 mois,
- La demande de remboursement doit porter sur un montant au moins égal à cent millions (100 000 000) francs guinéen);
- La demande doit être introduite pendant les 12 mois de constatation du crédit de TVA. A défaut, le crédit de TVA est annulé et ne peut faire l’objet ni de restitution ni d’
Ce dispositif légal permet à l’administration fiscale de décanter soigneusement les crédits de TVA admis au remboursement. D’après les estimations de la DGI, environ 30 à 35%[6] des montants de remboursement demandés par les sociétés minières sont rejetés pour non-respect des disposition fiscales relatives aux conditions de déductibilité.
Au regard de ce qui précède, nous estimons que le remboursement de crédit TVA par l’Etat aux sociétés minières est une solution qui devrait en principe apaiser les ardeurs et participer à soulager la trésorerie de ces entités. Toutefois, nos constats démontrent que cette solution peine à convaincre pour plusieurs raisons :
(i) Une faible dotation budgétaire pour le remboursement de crédit de TVA
Un projet minier qui devra suivre toutes étapes jusqu’à la production engendrera naturellement un volume de crédit de TVA considérable au regard de l’environnement fiscal du secteur minier guinéen. Le montant alloué au remboursement des crédits de TVA semble insuffisant face à la demande accrue et la consistance des montants réclamés au fil de l’accroissement des activités minières.
En 2023, la dotation annuelle allouée au remboursement des crédits de TVA était de 200 000 000 000 francs guinéens[7] complètement en deçà du montant réclamé par une seule entreprise minière en production bien implantée[8].
(ii) L’absence de critères bien établis, pourrait laisser la priorité du remboursement de TVA au gré du payeur.
En l’absence d’une clé de répartition fondée sur des critères objectifs des fonds alloués au remboursement des crédit de TVA entre les entreprises demanderesses, il serait difficile de parvenir à un traitement égalitaire.
De même, l’absence de règles de répartition juste et équitable pourrait priver les plus exposées aux impacts et conséquences des crédits de TVA. Une telle distorsion pourrait infliger un coup à la justice fiscale et rompre l’égalité de traitement entre les contribuables miniers qui se trouvent confronter aux mêmes difficultés.
Ainsi, face à l’enjeu que représente la question du remboursement de crédits de TVA des entreprises minières, nous estimons que le comité de gestion des crédits doit être revigoré et qu’il est impératif de repenser le dispositif actuel. Pour ce faire, nous proposons dans les lignes qui suivent quelques pistes de réflexion.
Des propositions de solutions pour un remboursement de TVA efficace et efficiente
Il y a des solutions faciles mais complexes à mettre en œuvre par l’Etat au regard des contraintes budgétaires persistantes. La plus simple sera de suffisamment doter le compte dédié au remboursement de TVA de sorte qu’il puisse remplir correctement sa vocation. Il est évident que le compte spécial remboursement TVA n’est pas suffisamment doté pour répondre aux ententes de remboursement.
Depuis le mois de juin 2021, les efforts de remboursement obtenus à la suite de la concertation avec le secteur minier ont été anéantis par le manque de régularité dans la tenue du comité de gestion des remboursements et la dotation suffisante du compte. Il avait été prévu, un prélèvement de 5% sur les encaissements de TVA par les administrations de douanes et des impôts + le précompte 50% TVA collectées par les entreprises minières pour doter le compte.
A ce jour, cette mesure tarde à être totalement effective et donc, les sociétés minières sont obligées de prendre leur mal en patience même si, des efforts sont en cours pour une digitalisation complète du process de remboursement des crédits de TVA.
La solution de la dotation suffisante du compte remboursement TVA, pourrait en revanche se heurter à des arguments comme, l’aggravation des dépenses fiscales[9] déjà étouffées à cause des dépenses fiscales inopportunes[10] (exonérations injustifiées).
Il sera également regardé comme moins stratégique de s’investir dans cette voie face à l’accroissement des contraintes sociales, des dépenses d’investissement et des facteurs politiques en prélude notamment de plusieurs évènements politiques à venir.
Mais, nous estimons qu’il faut rembourser les crédits de TVA afin de maintenir l’équilibre économique et instaurer la confiance des investisseurs miniers.
Alors s’il n’est pas évident de rembourser tous les crédits de TVA, il est néanmoins envisageable d’explorer d’autres mécanismes peu contraignants en termes de trésorerie pour l’Etat, et qui ferait mieux un arbitrage entre les tensions de trésorerie auxquelles sont confrontées les entreprises minières et les besoins en recettes pour l’Etat.
Sur ce, nous estimons que des mesures suivantes peuvent être préconisées :
(i) La mise en place d’un certificat de détaxe en matière de TVA pour les gros créanciers
Pour les entreprises qui atteignent un seuil élevé de crédit de TVA, par exemple de 100 milliards de francs guinéens, l’Etat pourrait les octroyer des certificats de détaxe pour une période renouvelable.
Le certificat de détaxe, serait un document que l’administration fiscale remet à une entreprise afin que celle-ci ne soit pas taxée par ses fournisseurs de biens et services à la TVA pendant une période donnée. L’avantage du certificat de détaxe est que pendant sa validité, l’Etat rembourse une partie des crédits TVA en contrepartie du non-paiement de TVA par le bénéficiaire ou le permet de compenser avec les impôts qu’elle doit.
Différent du certificat d’exonération temporaire [11] , le certificat de détaxe se comporte comme un titre de remboursement d’une dette sur l’Etat et devrait comporter le montant à rembourser. Aussi, il peut être endossable et utilisé pour le paiement d’autres impôts[12] comme il en a été sous d’autres cieux.
Bien que ces détracteurs l’assimilent à la création monétaire en le considérant comme remplaçant la monnaie fiduciaire, le certificat de détaxe serait un bon moyen pour l’Etat de réduire le volume des crédits de TVA réclamés sans avoir besoin à débourser directement un centime. En revanche, l’Etat renoncerait à la collecte ou le paiement de la TVA par le bénéficiaire du certificat pendant toute sa validité.
(ii) Une refonte globale du taux commun de la TVA – en instituant un taux réduit pour les entreprises minières en phase de recherche ou de construction des mines
Une refonte du taux commun de la TVA pourrait s’avérer comme une solution envisageable non seulement pour stabiliser et absorber une partie des crédits de TVA réclamés à l’Etat mais, aussi rehausser significativement le niveau de recettes fiscales par endroit.
En effet, le taux commun de la TVA est de 18%. Ce qui signifie que les entreprises minières acquittent 18% des factures réglées aux fournisseurs de biens et de services. Conséquemment, la réduction du taux de la TVA pour ces acquisitions, diminuerait l’accumulation des crédits de TVA ou pourrait les stagner. Le taux réduit de TVA peut être de 5% ou 8% selon le calibrage et l’objectif de remboursement que l’Etat se fixe.
Cette proposition a l’avantage de répondre à deux principales contraintes antagonistes. D’une part, l’Etat enregistrera une rentrée de recette par le règlement de TVA au taux réduit, et d’autre part, les entreprises minières auront moins de tension sur leur trésorerie grâce à cette réduction de taux sur leur paiement.
Dans le même sillage, l’Etat pourrait profiter de la refonte du taux de la TVA en prévoyant un taux réduit sur les opérations immobilières (pour l’instant exemptés de TVA) et une réduction du taux des droits d’enregistrement sur les cessions immobilières afin de contrôler et encourager les déclarations en matière de cession immobilière non professionnelle[13].
(iii) Création d’un fonds d’affection spéciale pour le remboursement de TVA
A causes de nombreuses difficultés liées au remboursement de crédit de TVA par l’Etat, il peut etre envisageable, la consignation de la TVA grevant les opérations minières dans un fonds d’affection spécial endossé au budget général. En effet, l’idée serait d’isoler les reversements de TVA concernant les entreprises minières en phases de recherche et de construction en vue de leur utilisation aux fins de remboursement. Le solde éventuel au cours d’un exercice budgétaire sera reporté sur l’exercice suivant.
Ce compte d’affectation spéciale pourrait dans ce cas de figure, permettre dans un premier temps, de suivre l’évolution des crédits de TVA et le niveau d’endettement de l’Etat par rapport au crédit de TVA et dans un second temps, servirait comme outil d’évaluation de l’impact de la Taxe.
Les reformes en cours pourront être implémentées en l’adossant au fond dédié au remboursement des crédits de TVA.
[1] La notion de cash-flow correspond aux flux de trésorerie réellement dégagés au cours d’une période
[2] La liste minière est prévue à l’article 166 et suivants du code minier. Elle doit etre approuvée par les Ministres en charge des mines et du budget
[3] Article 23 de loi de finances pour 2006 ;
[4] La situation de crédit TVA fin 2020 était autour de 800 milliards GNF
[5] Les opérations de transport international sont imposées au taux zéro de TVA et donc n’entraine aucune collecte de TVA
[6] Estimation fournie par la DGI
[7] Suivant la loi de finance initiale pour l’exercice 2023
[8] Suivant les estimations prudentes de la DGI, une société minière clame un crédit TVA d’environ mille milliard FG
[9] Manque à gagner budgétaires liés aux impôts et taxes
[10] Des récents rapports du FMI épinglent l’Etat Guinéen d’avoir accordé des exonérations inopportunes à certaines entreprises minières
[11] Certificat d’exonération fiscale délivré par l’administration fiscale en présence d’une exonération légale ou conventionnelle.
[12] Le certificat de détaxe sénégalais.
[13] Les cessions immobilières non professionnelles ne sont généralement pas déclarées à l’administration fiscale, l’application de la TVA sur ces opérations pourrait faciliter le contrôle en sus des revenus qui en sont tirés