Par A. Oumar Koulibaly
Date de publication: 28 mai 2021
Note sur l’Auteur : Monsieur A. Oumar Koulibaly est un Juriste-Fiscaliste, Manager chez Nimba Conseil en Guinée (Cabinet de conseil juridique et fiscal). Il est titulaire d’un Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité.
Dans l’article ci-dessous, M. Koulibaly analyse le traitement fiscal de la cession de titres de participation impliquant les entreprises minières guinéennes.
Au regard de la législation fiscale guinéenne, les plus-values réalisées dans le cadre d’une opération de cession de titres sont considérées comme des produits de placement à revenu variable dont l’imposition dépend selon qu’on est en face d’un bénéficiaire, personne physique non professionnelle ou d’un bénéficiaire personne morale. Pour les plus-values réalisées par les personnes physiques, le revenu est imposé dans la catégorie de l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM). En ce qui concerne les entreprises, le revenu est imposé dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC / IS).
La plus-value constatée lors d’une opération de cession de titres ou de droits, correspond à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition ou de souscription des titres ou droits. A la différence d’autres pays, le droit guinéen ne fait pas de distinction entre les opérations de cession de titres de participation et les titres de placement ; le même régime fiscal étant applicable aux opérations de cession de titres.
Par ailleurs, il est utile de préciser que d’un point de vue juridique, la différence entre les deux notions regorge tout un intérêt qui aurait permis d’avoir un traitement fiscal différent, car en principe, les titres de placement sont acquis en vue d’en tirer un revenu ou une plus-value alors que les titres de participation sont acquis dans le but de s’assurer un contrôle.
Le Code minier en ses articles 91-III et 91-IV[1] a défini un régime fiscal applicable aux plus-values réalisées lors des opérations de cession de titres ainsi que les opérations de prise de participation conférant un contrôle indirect dans une entreprise minière. Il s’avère que le même régime fiscal demeure applicable en prônant un renvoi aux règles de taxation prévues par le Code général des impôts (CGI) nonobstant la complexité juridique qui entoure la notion de prise de participation conférant un contrôle indirect.
Nous rappelons qu’il existe différents régimes fiscaux de plus-value prévus par le CGI dont l’intérêt n’est pas anodin mais qui, dans le cadre de cette analyse, ne fera pas l’objet de traitement. Dans cet article, notre réflexion portera essentiellement sur les contours de l’imposition de la plus-value dans les opérations de cession de titres conférant un contrôle indirect sur une personne morale titulaire d’un titre minier en Guinée prévue par le Code minier, à l’aune de la fiscalité guinéenne.
Un bref aperçu sur les opérations visées
Il ressort de l’article 91-IV du Code minier, que lorsqu’un changement de contrôle indirect intervient sur une personne morale titulaire d’un titre minier ou d’une autorisation, l’ensemble des cessions de prises de participation, sur les douze mois précédant cette prise de contrôle indirect, qui ont conféré ce contrôle indirect à une personne physique ou morale, est taxé selon le régime des plus-values.
A la lecture de cette disposition, nous comprenons qu’il faille d’emblée appréhender la notion de contrôle indirect au sens du Code minier pour une appréciation rationnelle de l’imposition au titre de la plus-value. A cet égard, la notion de contrôle indirect a été développée dans un texte réglementaire, notamment le décret du 17 janvier 2014[2] qui, à son article 22, a apporté quelques précisions et pas des moindres.
Ainsi, il appert que la définition du contrôle indirect tel qu’il ressort du Code minier inclut les notions d’influence et de contrôle. Sans vouloir reprendre les lignes du décret susvisé et pour résumer notre compréhension, par influence, il faut entendre la participation de manière effective aux décisions relatives à la gestion et à la politique financière de la société émettrice. Quant à la notion de contrôle, elle est définie en tenant compte de plusieurs facteurs intégrant les liens juridiques sans limitation particulière mais aussi des rapports de fait.
Nous comprenons donc de l’article 91-IV susvisé qu’une prise de participation qui ne confèrerait pas un contrôle indirect n’est pas visée par les dispositions de cet article. En revanche, lorsque le cumul des cessions de participation sur une période de 12 douze mois confère un contrôle indirect au sens de la définition retenue par le texte réglementaire, d’une entreprise guinéenne titulaire d’un titre minier, alors cette opération rentrerait dans le champ d’application de la plus-value. La précision est importante, car la lettre de la disposition ne permet pas de facilement appréhender l’opération visée.
La source du revenu – une appréciation biaisée du législateur
L’article 91-IV susmentionné précise que la plus-value réalisée dans le cadre d’une opération de cession de participation conférant un contrôle indirect est réputée être de source guinéenne dans la mesure où les actifs de la personne morale titulaire du titre minier sont situés en République de Guinée. Il précise que cette plus-value est imposée à la source en Guinée à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun défini par le CGI et que l’impôt est retenu à la source par la personne morale titulaire du titre minier et exigible au moment de la réalisation de la plus-value.
A la lecture de cette disposition, nous retenons que pour le législateur minier, la plus-value doit être taxée en Guinée dès lors que la société titulaire du titre minier dispose de ses actifs en Guinée et que cette dernière est légalement redevable de la retenue à la source à opérer dans le cadre de cette opération. Toutefois, cette position du législateur amène des observations pour tout praticien familier aux concepts fiscaux.
En ce qui concerne la désignation de la juridiction guinéenne en tant que lieu où se situent les actifs de la société titulaire du titre minier pour caractériser la source du revenu, il y a lieu de noter que l’approche utilisée pour fonder la compétence de la juridiction guinéenne n’est pas exempte de critiques. En effet, bien qu’on puisse évoquer le cas de cession conférant un contrôle indirect sur une entreprise minière guinéenne, il y a lieu de distinguer le titre minier, des titres de participation. Si le titre minier est certes guinéen, les titres de participation, en raison de la chaîne de contrôles illimités, peuvent relever d’autres juridictions et, les transactions visées sont souvent celles réalisées entre plusieurs entreprises domiciliées hors de la juridiction guinéenne.
Ainsi, les titres de participation concernés sont déjà des actifs figurant dans le patrimoine de ces entreprises et dont tout mouvement devra logiquement avoir un impact d’un point de vue fiscal. A proprement parler, les plus-values qui seront éventuellement réalisées par ces entreprises étrangères dont la résidence fiscale est rattachée à des juridictions étrangères devront être taxées selon le régime fiscal prévu par ces juridictions. Il ne revient pas en principe, au législateur guinéen de fixer le sort réservé à un revenu généré sous une juridiction étrangère.
Donc, le fait pour le législateur minier de prévoir un régime d’imposition de cette plus-value nous semble illogique et peut résulter d’une erreur d’appréciation, car l’imposition de cette plus-value en Guinée va indubitablement engendrer une double imposition ; le revenu étant en principe de source étrangère et donc probablement imposé dans l’Etat de résidence de l’entreprise cédante.
D’un point de vue fiscal, l’imposition de cette plus-value n’aurait été envisageable que lorsque l’entreprise cédante est fiscalement domiciliée en Guinée. Dans ce cadre, l’obligation fiscale illimitée trouvera à s’appliquer indépendamment de la source du revenu et sous réserve de la présence éventuelle d’une convention fiscale de non double imposition[3].
Par ailleurs, la détermination de la source d’une plus-value sur cession de titres ne devrait pas dépendre en principe du lieu de situation de l’entreprise dont les titres sont cédés, mais plutôt du lieu de la réalisation de la plus-value ou du lieu de la résidence fiscale de l’entreprise bénéficiaire du revenu. Au regard du CGI guinéen, les revenus imposés en Guinée sont déterminés selon que les bénéficiaires de ces revenus sont fiscalement domiciliés en Guinée ou selon que ces revenus sont de source guinéenne. Cette deuxième hypothèse tient compte du fait que ces revenus soient issus d’une activité réalisée en Guinée ou tirés d’actifs sis en Guinée. Tel n’est pas le cas des titres de participation de sociétés étrangères qui sont des actifs relevant des juridictions sous lesquelles résident fiscalement ces entreprises.
A titre illustratif, prenons l’exemple sur une entreprise australienne (A) qui détient 100% des titres d’une entreprise sénégalaise (B). L’entreprise B détient 100% des titres d’une entreprise guinéenne (C) qui elle est titulaire d’un permis minier. Dans ce schéma, l’entreprise A contrôle donc indirectement l’entreprise C. L’entreprise A décide de céder tous ses titres dans l’entreprise B à une entreprise française (D). Cette opération va conférer un contrôle indirect de l’entreprise D dans l’entreprise C. Et si l’entreprise A réalise une plus-value lors de cette opération qui se fait en dehors de la juridiction guinéenne, le législateur minier considère que cette plus-value est de source guinéenne du seul fait que le permis minier soit situé en Guinée.
Cette illustration permet de mettre en évidence l’appréciation biaisée du législateur sur la source du revenu à l’aune des principes fiscaux. Et si d’ailleurs on s’interrogeait sur le silence du législateur sur le traitement fiscal d’une éventuelle moins-value dans le contexte visé ? La question demeure !
La retenue à la source – une modalité de perception qui ne sied pas
Conformément à l’article 91 IV du Code minier, la plus-value réalisée dans le cadre des transactions visées audit article est imposée par voie de retenue à la source à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun et la société titulaire du titre minier est chargée d’opérer cette retenue qui devient exigible au moment de la réalisation de la plus-value. La même disposition prévoit que le non-paiement de la retenue à la source est sanctionné par le retrait du titre minier.
Cette disposition nous interpelle à plus d’un titre. D’abord, il est à préciser que la retenue à la source étant une technique de perception de l’impôt pour l’Etat par le biais d’u un tiers payeur, il serait donc opportun de s’interroger sur la faisabilité de la retenue à la source prévue par l’article susvisé à des transactions essentiellement étrangères et relevant de juridictions étrangères.
Si l’analyse et l’exemple ci-dessus nous permettent d’affirmer que le revenu généré dans les opérations visées dans le champ d’application de l’article 91 IV du Code minier ne saurait en principe, être qualifié de source guinéenne d’un point de vue fiscal, alors la possibilité d’appliquer une retenue à la source dans le contexte visé par le Code minier reste encore énigmatique, car la société titulaire du titre minier, ici redevable légale n’est ni tiers payeur, ni partie à la transaction. Dès lors, on peut légitimement se demander de quelle manière opérer cette retenue à la source.
Fiscalement, la notion de retenue à la source ne convient pas dans le schéma voulu par le Code minier. S’il y a retenue à la source, celle-ci devrait être appliquée par le tiers payeur, en l’occurrence la société bénéficiaire des titres cédés, qui, dans notre exemple, se situerait sous une juridiction étrangère ; d’où l’incohérence de la disposition.
Ainsi, nous pouvons affirmer que cet état de fait dénote la maladresse du législateur minier dans l’usage de concepts fiscaux sans tenir compte des répercussions qui pourraient être dissuasives pour un potentiel investisseur.
Quelques recommandations pour une réécriture plausible
La volonté du législateur d’imposer un minimum de perception sur des transactions impliquant indirectement les mines guinéennes n’est pas en soi à décrier. Toutefois, prévoir à cet effet un régime fiscal inadapté, reste indubitablement critiquable, surtout lorsque cela induit des ambiguïtés et des interprétations complexes.
Nous pensons qu’en lieu et place de la perception d’un impôt sur une plus-value étrangère dans les prévisions de l’article 91 IV du Code minier, il aurait été préférable de prévoir la perception d’un droit sur toutes les transactions étrangères portant directement ou indirectement sur des titres miniers guinéens et de définir les modalités de paiement de ce droit.
Cette approche, si elle n’est pas exempte de critique, aura au moins le mérite de la simplicité et la sécurité juridique.
[1] Ces dispositions sont issues de la loi L/2013/053/CNT du 8 avril 2013 portant amendement de certaines dispositions de la loi L/2011/006/CNT du 9 septembre 2011 portant Code minier de la République de Guinée.
[2] Décret D/2014/013/PRG/SGG relatif à l’application des dispositions financières du code minier du 17 janvier 2014
[3] La Guinée a signé trois (3) conventions fiscales de non double imposition qui sont en vigueur. Celle avec la France, le Maroc et les Emirats arabes unis.