Par A. Oumar Koulibaly
Date de publication: 6 juillet 2021
Note sur l’Auteur : Monsieur A. Oumar Koulibaly est un Juriste-Fiscaliste, Manager chez Nimba Conseil en Guinée (Cabinet de conseil juridique et fiscal). Il est titulaire d’un Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité.
Dans l’article ci-dessous, M. Koulibaly analyse les enjeux de la retenue de TVA de 50% aussi appelée précompte de TVA et propose des pistes de solution.
La retenue à la source est une technique de prélèvement de l’impôt réalisée pour l’Etat par un tiers payeur. Cette technique de perception de l’impôt incarne majoritairement le système fiscal guinéen.
La retenue de TVA de 50%, aussi appelée précompte de TVA par les professionnels a été instituée par l’article 20 de la loi finances pour 2001[1] qui prescrit cette obligation aux entreprises minières, aux sociétés exportatrices ainsi qu’à la Direction Nationale du Trésor. La retenue devait être appliquée aux montants facturés par les fournisseurs locaux de biens et services en ce qui concerne les entreprises minières et les sociétés exportatrices, et les montants facturés par les entreprises adjudicataires sur les marchés publics sur financement BND[2].
L’obligation de retenue à la source de TVA de 50% a été étendue aux entreprises publiques, aux sociétés pétrolières et aux sociétés de téléphonie par l’article 14 de la loi de finances pour 2016[3], puis aux sociétés d’économie mixte par l’article 10 de la loi de finances pour 2017[4].
La retenue est opérée sur le montant de la TVA facturée au moment du paiement et reversée au Trésor public dans les mêmes délais que les impôts et taxes à déclaration mensuelle.
Dans cette analyse, bien que la mesure ne soit pas inédite, elle continue tout de même de susciter quelques interrogations sur ses modalités d’application depuis l’extension de son champ d’application. C’est pourquoi, notre réflexion portera sur les contours de l’application généralisée de la mesure dans certaines circonstances et sur les sanctions qui y découlent.
Le précompte, un outil pour le fisc – une obligation indésirable pour les entreprises
Nous nous accordons qu’en dépit des moyens techniques déployés par l’Administration fiscale, celle-ci ne dispose pas à date, d’outils adéquats la permettant de tracer tous les contribuables assujettis à la TVA. Or, plusieurs entreprises facturent la taxe sans jamais la reverser ; ce qui engendre un énorme manque à gagner pour le Trésor public.
Ainsi, le renforcement des obligations fiscales de certaines entreprises, en l’occurrence les entreprises minières, pétrolières et de téléphonie qu’on peut à juste titre considérer comme des entreprises relevant de la catégorie des grandes entreprises pourrait trouver sa source dans ce combat de l’Administration fiscale de sécuriser les recettes fiscales à travers des contribuables crédibles et facilement traçables. En plus de son rendement optimal et d’autres avantages bénéfiques, le précompte de TVA ne peut constituer qu’un confort idéal pour l’Administration fiscale.
Toutefois, si cette méthode de perception est appréciée du côté de l’Administration fiscale, il convient de noter qu’elle n’est pas sans conséquences pour les entreprises assujetties, qui voient leurs obligations fiscales durcies et donc exposées à toutes sortes de sanctions fiscales.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le système fiscal guinéen est essentiellement basé sur un mécanisme de retenue à la source, car l’impôt sur le revenu et l’impôt sur le foncier sont majoritairement précomptés par les entreprises, ce qui constitue une importante pile d’obligations fiscales pour ces dernières.
Donc, le fait de durcir les obligations fiscales de ces entreprises en instituant un mécanisme de retenue de la TVA, qui de surcroit prévoit un régime de sanction impitoyable, ne peut être perçu que comme un étouffement fiscal qui pourrait bien avoir des conséquences. Il s’agit là d’une obligation de trop !
La mise en œuvre du précompte : quelques difficultés pratiques
A priori, l’application de la retenue à la source semble simple dès lors qu’elle consiste pour l’entreprise assujettie, à retenir 50% de la taxe en contrepartie de la remise d’une attestation de retenue.
A titre illustratif, pour une entreprise assujettie qui reçoit une facture de 100 HT dont une TVA 18%, soit une facture TTC de 118, celle-ci devrait s’acquitter de 109 soit 100 en HT et 9 en TVA (50% de 18).
Toutefois, dans certaines circonstances, la mise en œuvre de la retenue amène certaines difficultés pratiques au nombre desquelles nous pouvons identifier l’application du précompte en présence d’un intermédiaire mandataire.
En effet, pour certaines opérations impliquant l’intervention de plusieurs personnes, l’entreprise n’a d’autre choix que de traiter avec un mandataire qui agit au nom et pour le compte de l’entreprise bénéficiaire afin de gérer toutes les interventions dans le cadre de cette opération. C’est le cas notamment dans les opérations de dédouanement, là où interviennent plusieurs personnes (concessionnaire, transitaire, manutentionnaire…). Ces personnes généralement assujetties à la TVA facturent la taxe à l’entreprise mandataire pour les services fournis, qui la paie et la refacture à l’entreprise bénéficiaire (assujettie à l’obligation de retenue). Il s’avère que l’intermédiaire est une entreprise non assujettie à l’obligation de retenue ne pouvant donc retenir la taxe (50%) au moment du paiement des différents intervenants.
Dans ce cadre, le mandataire agissant au nom et pour le compte de l’entreprise bénéficiaire refacture les débours incluant les taxes et la rémunération de sa prestation avec TVA à cette dernière qui ne pourra que retenir les 50% de la taxe relative uniquement à sa prestation.
Cette situation génère un risque considérable pour les entreprises assujetties à l’obligation de retenue à la source qui pourront se voir redresser par l’Administration fiscale au motif qu’elles n’auraient pas pratiquées la retenue sur la TVA facturée par les différents intervenants. La difficulté pratique de ce scénario réside dans le fait que les factures des différents intervenants sont adressées à l’entreprise mandataire, elle, qui ne doit opérer de retenue du simple fait qu’elle ne soit pas assujettie à cette obligation. Il faut souligner que ce cas n’est qu’illustratif parmi tant d’autres dont nous n’aurons pas l’occasion d’aborder cette fois ci.
Aussi, il faut rappeler que l’Administration fiscale avait publié une circulaire relative à l’application de la retenue à la source de 50% de TVA[5] qui, malheureusement n’avait pas abordé ces aspects si importants et aucun éclairage n’a été mis au point à ce sujet, à date.
Un régime de sanctions disproportionnées
Les entreprises assujetties à l’obligation de la retenue à la source subissent les mêmes sanctions qu’en matière de TVA, soit le rappel de la taxe et l’application de la majoration et de l’intérêt de retard. Ces sanctions semblent sévères à plusieurs égards pour des entreprises qui n’assument qu’un rôle d’intermédiaire. Nous pouvons d’ailleurs nous permettre d’affirmer qu’elles sont exposées à des sanctions pour une fonction de collecte qu’elles assument gratuitement pour le Trésor public. Dès lors, les soumettre aux mêmes sanctions qu’une entreprise qui collecte la taxe en son nom personnel relève d’une sévérité injustifiée, car ni le contexte, ni les objectifs de ces mesures ne sont conciliables.
Aussi, au lieu de comprendre l’objectif de la mesure qui vise une sécurisation des recettes fiscales en s’assurant qu’au moins une partie de la taxe facturée sera reversée à travers un contribuable identifié, l’Administration fiscale adopte une démarche coercitive avec ces entreprises à l’instar de celle adoptée face à un fraudeur fiscal. Au lieu de chercher à appréhender si la taxe facturée a été entièrement reversée au Trésor public, elle focalise exclusivement son attention sur l’entreprise assujettie à l’obligation de la retenue, alors que le défaut d’application de la retenue de 50% ne lèse pas nécessairement le Trésor public. Il aurait simplement suffi de s’assurer que la taxe a été entièrement reversée par le contribuable qui l’a facturé. Il pourrait donc arriver qu’il y ait double perception dans l’hypothèse où la taxe est entièrement reversée par le contribuable qui l’a facturé et que le redressement de l’entreprise assujettie à la retenue à la source conduise également à un reversement au Trésor public ; d’où la double perception.
Nous sommes conscients du rendement optimal et des enjeux de trésorerie liés à cette mesure pour le Trésor public et le fait qu’elle soit assortie de sanctions en cas de manquement pour produire toute son efficacité. Mais, l’application de sanctions au même titre qu’un contribuable qui facture la taxe (TVA) et ne la reverse pas ou la reverse insuffisamment est disproportionnée à l’égard des entreprises soumises à l’obligation de la retenue, au vu des objectifs visés par le précompte.
Une piste de réflexion pour une solution optimale pour toutes les parties
En soi, le précompte de 50% n’est qu’un réaménagement des modalités de collecte de la TVA. Conscient du choix du législateur de s’appuyer sur les grandes entreprises pour collecter la taxe, il y a lieu quand même, de circonscrire le champ d’application de la retenue et de réaménager les sanctions applicables en cas de manquement pour concilier l’objectif de la mesure à sa finalité.
En l’état actuel, la retenue à la source de TVA s’applique à tout paiement effectué par les entreprises assujetties à cette obligation, à un fournisseur de bien et/ou de service immatriculé à la TVA sans distinction. Ce qui revient à dire qu’elle est appliquée même à une entreprise assujettie à la même obligation de retenue, soit entre entreprises minières, pétrolières et de téléphonie. Cette situation fausse l’objectif de la mesure, car ces grandes entreprises sont déjà facilement traçables, et conduit à une conjoncture de crédit de TVA, surtout pour celles qui opèrent avec des entreprises minières qui sont majoritairement exonérées de TVA ; d’où la nécessité de restreindre le champ d’application de cette obligation.
A cet égard, le législateur aurait pu circonscrire l’application de la mesure aux entreprises autres que celles déjà assujetties à ladite obligation et toutes les grandes entreprises dont les établissements de crédit, les sociétés d’assurance, les sociétés d’entreposage et de distribution de produits pétroliers, les sociétés maritimes et sociétés de production industrielle. Cela aurait pu alléger la charge fiscale et éviter dans certains cas, des situations de crédits de TVA.
Enfin, concernant l’application des sanctions relatives à la TVA aux entreprises assujetties à l’obligation de retenue à la source, il aurait été préférable qu’un régime de sanctions soit aménagé et qui soit différent des sanctions en matière de TVA, car en réalité, l’obligation de retenue à la source de TVA de 50% n’a pas la même vocation que celle d’un assujetti à la TVA qui collecte et qui reverse directement la taxe en son nom personnel.
[1] Loi L/2001/6/AN du 17 mai 2001 portant loi de finances pour 2001.
[2] Budget National de Développement.
[3] Loi L/2016/001/AN du 18 janvier 2016 portant loi de finances pour 2016.
[4] Loi L/2016/066/AN du 19 décembre 2016 portant loi de finances initiale pour l’année 2017.
[5] Circulaire d’application de la retenue à la source de 50% de la TVA N°0583/MDB/DNI/mc/2016 du 9 mars 2016.