Par Me Hamidou D. Dramé
Date de publication: 14 novembre 2020
Note sur l’Auteur : Me Hamidou D. Dramé est Avocat au Barreau de Guinée. Il est Associé au Cabinet d’Avocats Guilex Avocats
Résumé de l’article :
Cet article revient sur le bilan du Tribunal de Commerce de Conakry (« TCC ») après 18 mois d’activités. Il analyse d’abord les statistiques du TCC concernant entre autres les procédures enrôlées, les décisions rendues et le délai de traitement des dossiers. Ensuite, la jurisprudence sur la compétence du TCC est succinctement présentée tout comme la réforme à venir sur les juridictions commerciales en Guinée.
- Introduction :
Créé par la Loi L/2017/033/AN/SGG du 4 juillet 2017 (« Loi sur le Tribunal de Commerce de Conakry (TCC) »), le TCC est compétent pour statuer en premier ressort sur les différends commerciaux qui naissent dans la zone spéciale de Conakry. Le TCC statue notamment sur les contestations relatives aux engagements et transactions entre commerçants, aux sociétés commerciales, aux établissements de crédits et aux procédures collectives d’apurement du passif.
- Sur les 18 premiers mois d’activité, les statistiques du TCC sont impressionnantes:
- 1480 procédures enrôlées ;
- 1212 décisions rendues ;
- 245 appels seulement soit 16,5% des décisions rendues ; et
- 3 mois en moyenne pour le délai de traitement des dossiers au fond, 3 jours pour les ordonnances sur requête et 30 jours pour les référés.
Le contentieux lié au recouvrement de créances opéré par les institutions bancaires et financières concerne plus de la moitié des dossiers traités par le TCC. En outre, les statistiques officielles du TCC nous indiquent que dans les six (6) premiers mois après le début des activités, la valeur des litiges soumises au TCC était respectivement de :
- 20 157 148 432 GNF pour les ordonnances d’injonction de payer ; et
- 91 713 700 583 GNF pour les décisions au fond.
Ces chiffres nous renseignent donc sur l’importance des contentieux commerciaux et sur le rôle déterminant que joue les juges du TCC pour l’amélioration de l’environnement des affaires en Guinée. En effet, la sécurité juridique et judiciaire est un élément fondamental pour le développement des affaires et attirer les investisseurs étrangers. Ces faits permettront à la Guinée d’améliorer son score concernant l’indice « d’exécution des contrats » dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale.
- La compétence du Tribunal de Commerce de Conakry, un élément au cœur des décisions rendues
Auparavant reparti entre les trois tribunaux de première instance (« TPI ») de Kaloum, Dixinn et Mafanco, la création du TCC a centralisé le contentieux commercial de la zone de Conakry en un seul lieu. Comme on pouvait s’y attendre avec ce changement, la contestation de la compétence du TCC est un élément régulièrement soulevé par les parties au procès. Sans faire une analyse détaillée de la jurisprudence du TCC sur la question de sa compétence, une série de décisions consultées nous indiquent les tendances ci-après :
A. Compétence du TCC et actions commerciales postérieures au 29 avril 2019 :
(i) Compétence territoriale du TCC :
Dans une ordonnance en date du 11 Juin 2019 (Affaire Getma), le TCC a rejeté une exception d’incompétence soulevée par le défendeur qui soutenait que le litige concernant une saisie-vente pratiquée dans la Commune de Matam relevait de la compétence du TPI de Mafanco. Sur la base de la note circulaire du Ministre de la Justice du 12 avril 2019, le TCC a rappelé qu’il lui revenait de statuer sur les litiges entre commerçants, sociétés commerciales et actes de commerce en lien avec les Actes uniformes OHADA dans la zone spéciale de Conakry à compter du 29 avril 2019.
(ii) Compétence matérielle du TCC :
Dans une ordonnance en date du 29 Juillet 2019 (Affaire Guinea Mar Grandioso), le TCC a rejeté une exception d’incompétence soulevée par le défendeur qui arguait que les contestations liées à une ordonnance de saisie attribution de créances rendue le 11 avril 2019 par la Présidente du TPI de Dixinn devait être examinées par la même juridiction. En application de la Loi sur le TCC et la Note Circulaire du Ministre de la Justice du 19 avril 2019, le TCC s’est déclaré compétent puisque les nouvelles actions en justice relatives aux commerçants et aux actes de commerce sont de sa compétence à compter du 29 avril 2019 dans la zone spéciale de. Conakry. Par ailleurs, le TCC a souligné que l’action principale qui a conduit à l’ordonnance de saisie est de nature commerciale. D’où sa compétence pour statuer sur ce litige qui concerne la mainlevée de l’ordonnance de saisie attribution des créances.
B. Compétence du TCC et partie non commerçante :
Dans une ordonnance en date du 20 août 2019 (Affaire GAC), le TCC a statué sur un litige impliquant une société commerciale et des non commerçants. Ces derniers ont dénoncé une saisie attribution de créances à la société commerciale en y indiquant que la juridiction Présidentielle du TPI de Dixinn était la juridiction compétente pour connaître des contestations concernant ladite saisie. Suite à cet acte de dénonciation, la société commerciale a saisi le TCC pour statuer sur la saisie pratiquée par les non-commerçants. Sur la base de l’article 3 tiret 7 de la Loi sur le TCC, le TCC s’est déclaré incompétent pour examiner ledit litige. En effet, la disposition précitée donne le choix à la partie non commerçante demanderesse de saisir un tribunal civil pour statuer sur un litige avec une société commerciale.
C. Compétence du TCC et clause compromissoire :
Dans un jugement en date du 13 février 2020 (Affaire GMK Sarl), le TCC s’est déclaré incompétent pour statuer sur un litige qui concernait un contrat incluant une clause d’arbitrage au profit de la Chambre d’Arbitrage de Guinée. L’exception a été soulevée par le défendeur qui invoquait l’article 13 alinéa 1er de l’Acte uniforme OHADA sur le Droit de l’Arbitrage. Cette dernière disposition oblige une juridiction étatique saisie de se déclarer incompétente en présence d’une convention d’arbitrage si l’une des parties au litige en fait la demande.
- Le projet de loi sur les juridictions commerciales en Guinée, preuve du succès du Tribunal de Commerce de Conakry
Présidé par le Juge Pierre Lamah, membre du comité des experts de l’OHADA, le TCC a ouvert le chemin pour une réforme globale de la justice commerciale en Guinée. Pour preuve, le Ministère de la Justice avec le soutien de ses partenaires institutionnels et financiers finalise actuellement un projet de loi sur les juridictions commerciales en Guinée. Ce projet de loi va prévoir les modalités de création d’autres tribunaux de commerce dans les zones où les activités économiques sont florissantes et denses (exemple : Boké). De plus, le projet de loi prévoit la création de Cours d’Appel de Commerce notamment à Conakry.
Il convient de souligner que ce projet de loi s’aligne sur les réformes engagées dans d’autres pays de l’OHADA en matière de contentieux commercial. A titre d’exemple, la Côte d’Ivoire a d’abord commencé sa réforme avec la création du Tribunal de Commerce d’Abidjan et ensuite a adopté une loi sur les juridictions de commerce qui a permis la mise en place de la Cour d’appel de Commerce d’Abidjan.
Contact:
Me Hamidou D. Dramé
Avocat au Barreau de Guinée, Guilex Avocats
Email : hdrame@guilex-avocats.com