Par Ansoumane SACKO
Date de publication: 11 mai 2019
Note sur l’Auteur:
M. Ansoumane SACKO est Docteur en Droit Public. Il est Conseiller à la Cour Constitutionnelle de Guinée.
Il est aussi Maitre-Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Sonfonia à Conakry.
Résumé
La Constitution guinéenne du 07 mai 2010 a ouvert, de façon significative, la voie d’un contrôle juridictionnel des finances publiques par l’érection d’une Cour des comptes. Dans cette étude, notre démarche suivie est circonscrite dans un cadre spatial, institutionnel et normatif. Le choix a été fait en vue de la circonscrire aussi dans le cadre temporel de 2010 à 2019. L’approche interdisciplinaire intéressant aussi bien les matières juridique et financière a été révélée par la doctrine. L’étude s’attache à comprendre que la consécration de cette nouvelle institution dans le dispositif normatif et institutionnel en Guinée est désormais liée à l’avènement d’un Etat de droit et la promotion de la bonne gouvernance financière. En particulier, elle est appréciée comme une dynamique du renouveau du contrôle dans l’Administration guinéenne. Elle vise en outre à promouvoir l’éthique républicaine.
Introduction
L’obligation de rendre compte de l’emploi des fonds publics est devenue une exigence du fonctionnement de l’Etat moderne, selon l’esprit du texte sur la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose en son article 14 que : « Tous les hommes ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leur représentants, la nécessité de contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quantité, l’assiette, le recouvrement et la durée », et en son article 15 que « la Société a le droit de demander comptes à tout agent public de son administration ». La Constitution guinéenne du 07 mai 2010 s’est inscrite dans le même cadre en précisant que : «quiconque occupe un emploi public ou exerce une fonction publique est comptable de son activité et doit respecter le principe de neutralité du service public. Il ne doit user de ses fonctions à des fins autre que l’intérêt général »[1].
La première juridiction des comptes de la Guinée fut créée en 1989 par l’ordonnance N°110/PRG/SGG/89 du 30 mai 1989 portant composition et fonctionnement de la Cour des Comptes. Cette ordonnance fut abrogée par la loi organique N°91/08/CTRN portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour suprême. Aux termes de l’ancienne Constitution en l’occurrence la Loi Fondamentale du 23 décembre 1990, la Cour des comptes avait pour mission le contrôle a posteriori des finances publiques et faire rapport à l’Assemblée Nationale[2]. Dans la pratique cette fonction n’a jamais été effective. Non seulement la chambre des comptes ne recevait pas les comptes, mais également, elle n’était pas suffisamment outillée pour faire un contrôle exhaustif et indépendant. Aucun rapport annuel au Président de la République statuant en matière de comptabilité publique n’a été réalisé et publié depuis une quinzaine d’années[3]. En réalité cette chambre n’a pratiquement pas été fonctionnelle[4].
Ainsi, en dépit de ce dispositif institutionnel, des problèmes récurrents de malversations et de détournement des deniers publics sont apparus dans tous domaines de l’administration publique[5].
Un tournant décisif fut amorcé avec la Constitution du 07 mai 2010 avec l’émancipation ou la transformation institutionnelle de la Chambre des comptes à travers son élévation comme Cour des comptes. L’insérant ainsi au rang des institutions constitutionnelles au même titre que la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. Ainsi, à partir de 2011, l’exigence de transparence, d’imputabilité et de reddition des comptes attachée à la gestion des deniers publics, ont conduit le Gouvernement à en engager un vaste programme de réforme des corps de contrôle et d’assainissement économique et financier[6].
En application des dispositions des articles 77 et 116 de la Constitution de 2010, la loi organique L/2013/046/CNT du 18 janvier 2013 portant organisation, attribution et fonctionnement de la Cour des comptes et le régime disciplinaire de ses membres a été adoptée, modifiée dans certaines de ses dispositions par la loi organique L/2013/066/CNT du 12 décembre 2013[7]. Cette nouvelle Cour des comptes en tant que juridiction financière indépendante est l’Institution Supérieure de Contrôle des Finances Publiques (ISC)[8]. A ce titre, elle dispose d’attributions juridictionnelles et consultatives.
La Cour des comptes en tant qu’institution juridictionnelle de contrôle externe des finances publiques est calquée du modèle français. Le système français organisé autour de la Cour des comptes illustre la modalité de contrôle externe par une juridiction, bien que les contrôles exercés puissent être de plusieurs natures[9]. Dès l’origine, comme le rappelais Philippe SEGUIN, la Cour dépassait le strict examen des comptes dans un contexte juridictionnel pour apprécier aussi le « bon emploi » des deniers[10].
Dans le cadre français, une nouvelle dimension fut introduite en 1982 par la création des chambres régionales des comptes. De manière générale, des évolutions qualitatives furent précipitées à la suite de la loi organique du 1er août 2001, relative aux lois de finances, et de la loi du 2 août 2005, modifiant la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale[11].
Ainsi, la consolidation de toute démocratie passe indubitablement par l’amélioration de la gestion des ressources publiques, amélioration sans laquelle, il ne peut y avoir de développement. Les ressources publiques n’appartiennent pas à leurs utilisateurs (les comptables publics) ; leur gestion fait donc l’objet d’un compte rendu au vrai propriétaire (le citoyen) : c’est le principe de la reddition des comptes[12].
A la place du citoyen, ce sont les juridictions supérieures de contrôle financier qui assurent cette mission républicaine comme il vient d’être fait en Guinée depuis 3 ans relativement à la Cour compte. A ce titre une question se pose, c’est celle relative aux enjeux majeurs d’ordre juridique et financier et la nécessité de passage d’une Chambre des comptes à une Cour des comptes ? Cette question suppose la justification de l’émancipation institutionnelle de la Cour des Comptes. Il y a donc lieu de démontrer la nécessité de création de la Cour des comptes (I) comme un acteur majeur dans la promotion de la bonne gouvernance financière (II).
I : La nécessité de création de la Cour des Comptes
Pour servir au développement durable des pays, les finances publiques doivent être mises sous contrôle en permanence. Mais quel type de contrôle ? En réponse à cette question, il est d’une nécessité impérieuse pour la Guinée soucieuse de la bonne gouvernance des finances publiques de relever le défi d’une évolution institutionnelle de la Chambre des comptes (A) qui entraîne une démarche qui s’inscrit dans la performance financière (B).
A : Une évolution institutionnelle de la Chambre des Comptes
La Guinée dispose certes d’une assez longue tradition de contrôle des finances publiques, mais, les organes qui en étaient chargés n’avaient pas les moyens humains, notamment la Cour suprême. Ainsi, le caractère aléatoire des missions de vérification avait-t-il fini par installer, en dépit de graves anomalies de gestion, un certain sentiment d’impunité dans l’Administration.
Dans le préambule de la Constitution, le constituant guinéen de 2010 a manifesté « sa volonté de promouvoir la bonne gouvernance et de lutter résolument contre la corruption et les crimes économiques », crimes déclarés imprescriptibles. Par cette innovation majeure de sa constitution, la Guinée s’est inscrite dans le courant lancé depuis les années 1980 par les partenaires au développement (Banque mondiale, FMI, BAD, PNUD…)[13]. La Guinée est partie au protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance depuis le 20 décembre 2002[14]. Elle se trouve ainsi dans l’obligation de la rendre effective. La bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des affaires publiques impliquent un contrôle efficace exercé par une institution indépendante dotée de moyens adéquats.
En Guinée, le rôle de juge des comptes a été dévolu dès 1991 à la Cour suprême (troisième chambre). A la faveur de l’élaboration de la Constitution du 7 mai 2010, la réforme des institutions judiciaires, dictée par le souci de leur spécialisation, entraîne l’émancipation institutionnelle de la Cour constitutionnelle, gardienne de la Constitution et celle de la Cour des comptes, juridiction suprême du contrôle a posteriori des finances publiques. Ainsi, la troisième chambre de la Cour suprême qui faisait office de juridiction des comptes est érigée en une Cour des comptes. La réhabilitation de cette Cour intervient 21 ans après sa dissolution au sein de la Cour suprême en qualité de chambre[15]. Cette réforme institutionnelle, est commandée par la nécessité avérée de la bonne gouvernance.
La véritable justification de la création de la Cour des comptes en Guinée par le constituant, c’est de donner une place de choix au contrôle juridictionnel des finances publiques avec l’autorité qui s’attache aux décisions de justice ; c’est aussi le souci de conférer au juge des comptes les pouvoirs de répression et de sanction, au même titre que le juge pénal ou le juge civil ; c’est enfin la conviction partagée que le contrôle des finances par les juges sera plus efficace et plus crédible que le contrôle effectué par des organes administratifs tels que les Inspections des finances ou l’Inspection Générale d’Etat.
L’innovation est donc opportune pour rappeler, en particulier aux pouvoirs publics en charge de la conception et de la conduite de la politique nationale, les contraintes auxquelles sont soumis les acteurs de la vie nationale (Etat, partis politiques, société civile, opérateurs économiques des secteurs publics et privés). Elle l’est d’autant si c’est un Etat comme la Guinée, appelée « château d’eau de l’Afrique » ou déclarée « scandale géologique »[16], mais où la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 49,1% en 2002 à 58% en 2010 selon le plan de développement 2011-2015 adopté en 2012 par le CNT[17]. Une situation qui perdure depuis l’indépendance en 1958 et qui s’est aggravée à partir de 1984 avec la mauvaise gestion du régime Lansana CONTE et des militaires du CNDD[18]. En s’engageant à lutter contre la corruption et les crimes économiques, le constituant guinéen a délibérément défini les conditions devant sous-tendre les actions publiques. Car, la bonne gouvernance politique, économique, sociale et culturelle est d’abord une question de volonté et d’éthique. L’érection de la Cour des comptes découle aussi d’une démarche qui s’inscrit dans la performance financière.
B : Une démarche qui s’inscrit dans la performance financière
Le contrôle des finances publiques s’exerce dans un contexte en mutation rapide, du fait de l’internationalisation croissance des normes comptables et d’audit, et de l’évolution générale des modes de budgétisation et de gestion dans le cadre des démarches de performance. La mission des juges financiers se trouve dès lors sensiblement modifiée. A propos des nouvelles missions du juge financier dans un contexte de budgétisation par programme, le conseiller maître à la Cour des comptes française, Daniel LAMARQUE, indique que l’évolution des contrôles est marquée par trois caractéristiques :
– un contexte profondément modifié par l’internationalisation des normes comptables et des normes d’audit ;
– la tendance générale au développement de l’audit de performance, qui répond aux nouvelles exigences d’une gestion publique axée sur les résultats ;
– un nouvel équilibre entre contrôle interne, audit interne et audit externe[19].
Le constituant guinéen en créant la Cour des comptes a voulu s’inscrire dans cette nouvelle donne qui répond mieux aux nouvelles modalités de contrôle et d’audit externe. Cette nouvelle tendance de modalités de contrôle se traduit dans l’Etat, par une internationalisation des contrôles, de plus en plus intégrés au fonctionnement même de l’organisme, et conduit à redéfinir le rôle des acteurs traditionnels de la gestion publique : ordonnateurs ou gestionnaires, comptables publics, contrôleurs, inspections générales, Cour des comptes….
A partir du moment où les critères d’appréciation des performances ont été élaborés, il est souhaitable d’avoir des valeurs de référence pour pouvoir formuler une opinion motivée sur les performances de chaque unité administrative. C’est l’objectif qui est recherché par la fixation des normes d’appréciation des performances ou de rendement. Ainsi, « une norme de performance est une valeur de référence qui est fixée ou utilisée comme critère d’appréciation ou d’évaluation de la performance d’une unité administrative »[20]. Ces normes sont définies à l’étape de la planification. Elles serviront de point de repère pour juger les résultats obtenus. L’institutionnalisation d’une Cour des comptes autonome est dans ce cas une condition favorisant le contrôle de performance. Car, ce contrôle est lié à l’existence d’un dispositif de contrôle de gestion qui doit permettre des rapprochements réguliers, des différentes phases des résultats, par rapport aux objectifs. Il est lié aussi à l’existence de dispositif de recherche et d’amélioration des performances. Au même titre que les cabinets d’audit, les institutions supérieures de l’ordre administratif (inspection Général des Finances, Inspection Générale d’Etat et les autres organes ayant la compétence), la Cour des comptes participe de façon efficace au contrôle de performance.
En effet, la complexité croissante de la gestion publique et le climat d’instabilité et d’incertitude qui marque les finances publiques exigent la mise en place d’une institution autonome dynamique démarquée de toute emprise institutionnelle : la Cour des comptes. La cour des comptes dans sa démarche de performance dans un contexte de budgétisation par programme, s’assure de l’effectivité et la validité de la démarche : elle apprécie la pertinence des indicateurs, la qualité du reporting, et l’exercice effectif de la responsabilité managériale. Le rapport annuel adressé au Président de la République et à l’Assemblée nationale prévu à l’article 116 al 5 de la Constitution comprendra ainsi désormais toute une partie consacrée à la « gestion budgétaire en mode LOLF ». La démarche de la LOLF s’applique à tout le champ public, donc également à la Cour elle-même. Elle émet donc un projet et un rapport annuel de performance, qui font l’objet d’une discussion au Parlement. Elle rend compte de l’atteinte de ses objectifs mesurés notamment par des indicateurs de délai et de résultats de ses contrôles[21].
Au-delà des aspects liés à la gestion au sens des règles et techniques comptables et managériales, la notion de gouvernance financière publique a trait aux nouvelles formes d’expression de la démocratie[22]. Elle apporte une assistance au Parlement et au Gouvernement (rapport sur l’exécution de la loi des finances, déclarations générales de conformité entre le Contrôle Général des Administrations Financières et les comptes des comptables publics). Car, la gestion des organismes publics et autres entités est soumise au contrôle de la Cour. Il s’agit de l’ensemble des comptes de gestion rendus annuellement par les comptables de l’Etat, des collectivités locales, des entreprises publiques…[23].
Ainsi, à l’instar des cabinets d’audit privés, la Cour des comptes peut, lors de l’examen des comptes, adopter les démarches appropriées et appliquer les techniques de contrôle les plus pertinentes. Mais plus que les cabinets, elle peut, en raison de sa connaissance approfondie de plusieurs secteurs, procéder à une évaluation des politiques publiques[24]. Pour les juridictions financières, il n’y a pas une différence fondamentale entre le contrôle des comptes et l’audit des comptes[25]. Tout est une question de terminologie. Par contre, l’évaluation des politiques publiques fait intervenir d’autres exigences et le contrôle ou l’audit des comptes publics apparaît comme un outil destiné à favoriser cette évaluation au plan de la gestion financière et comptable. Dans certains pays, ces trois types de contrôle ont tendance à être confondus dans une vérification dite intégrale qui permet d’examiner la gestion sous ces différents aspects[26]. La cour des comptes se positionne ainsi comme un acteur incontournable dans la promotion de la bonne gouvernance financière.
II : Un acteur majeur dans la promotion de la bonne gouvernance financière
Selon un vieil adage, « les finances sont le nerf de la République »[27], qui tient les finances, tient l’ensemble du groupe. La Cour des comptes se voit impartir des fonctions comportant une finalité démocratique. La réforme en cours peut apparaître comme une réponse afin de préserver une saine gestion efficace et efficiente des finances publiques. Il s’agit de permettre à la Cour de jouir non seulement des attributions juridictionnelle et consultative essentielles (A), mais aussi de recevoir la déclaration des biens pour mieux combattre l’impunité et la corruption (B).
A : Les attributions juridictionnelle et consultative essentielles
La Cour des comptes est la juridiction de contrôle a posteriori des finances publiques. Elle a donc la mission d’assurer le contrôle supérieur de l’exécution des lois de finances. Son importance dans le rouage de la sauvegarde des fonds publics est primordiale et l’amplitude de ses compétences est vaste. C’est du moins ce qui ressort à la lecture de l’unique article 116 de la Constitution qui la prévoit : « la Cour des comptes est la juridiction de contrôle a posteriori des finances publiques. Elle dispose d’attributions fonctionnelle et consultative. Elle statue sur les comptes publics, ceux des collectivités territoriales et locales, des établissements publics, des entreprises publiques et parapubliques et de tous les organismes publiques et parapubliques et de tous les organismes, institutions bénéficiant de concours financier de l’Etat. Elle connaît des comptes des campagnes électorales et de toute matière qui lui est attribuée par la loi. La Cour des comptes est chargée également de contrôler les déclarations des biens telles que reçues par la cour constitutionnelle. Elle élabore et adresse un rapport au Président de la République et à l’Assemblée nationale ». A la lecture de cette disposition, on ne peut ignorer, la place essentielle que la Cour des comptes est appelée à jouer dans le contrôle des finances publiques[28]. Elle dispose d’une compétence de droit commun : une appréciation sur la qualité de gestion. A cet effet, elle examine chaque année la régularité des écritures des comptables publics.
En effet, au-delà du contrôle de régularité budgétaire et de gestion, elle s’attache surtout sur la qualité de la gestion[29]. La Cour est en mesure de :
– juger les comptes des comptables publics efficacement ;
– juger les gestions de fait qui lui seront transmises ou qu’elle aura découverte elle-même au cours des contrôles ou des vérifications afin que la détention et le maniement des fonds et valeurs publics ou privés réglementaires seront de la compétence exclusive du comptable public et des personnes qui agissent sous son contrôle et sa responsabilité ;
– juger les fautes de gestion des ordonnateurs et des personnes qui exercent en fait les fonctions d’ordonnateur afin que toutes les irrégularités relatives à l’exécution des opérations financières de l’Etat ou d’autres organismes soient sanctionnées ;
– assurer le contrôle de la gestion des entreprises publiques et des sociétés d’économie mixte et de faire des recommandations pour l’amélioration des performances ;
-apporter son assistance au Parlement dans le contrôle de l’exécution de la loi de finances afin que, sur la base des résultats dégagés pour la loi de finances de l’année n°1, les Parlementaires puissent exprimer leur vote sur le projet de budget de l’année n+1 qui leur est soumis et éviter aussi de mettre en place des budgets peu sincères qui dégageraient des déficits à l’exécution et mettraient en péril l’équilibre financier général ;
– établir et publier chaque année, un support sur l’exécution de la loi de finances afin que le citoyen soit informé de la façon dont les fonds et valeurs de l’Etat et des organismes publics sont gérés ;
– d’examiner les conditions de fonctionnement des services et des établissements publics de l’Etat à caractère industriel ou commercial, des entreprises nationales, des sociétés d’économie mixte ou des sociétés anonymes où l’Etat détient seul plus de la moitié du capital social[30]. Ces organismes sont dans l’obligation de lui adresser leurs comptes annuels accompagnés des rapports des commissaires aux comptes. La Cour procède donc à des auditions et formule des observations après avoir reçu l’avis des dirigeants. Dans son rapport particulier, la Cour apprécie les résultats et propose des réformes du point de vue de l’efficacité de la gestion. Elle se rendre compte du bon emploi des fonds alloués par l’Etat à ces organismes et voire par la même occasion si cette aide doit être maintenue[31].
Conformément à son champ d’application rationea materiae, la compétence de la Cour s’étend sur la gestion des collectivités locales. C’est-à-dire non seulement sur les comptables locaux mais aussi sur la gestion des ordonnateurs. Car, la libre administration des collectivités locales n’aura aucune chance si leur autonomie financière n’est pas garantie et contrôlée. De même, les collectivités décentralisées demeurent soumises à un contrôle qui, bien qu’exercé a priori peut entrainer l’annulation de certains actes ou leur mise en conformité avec la réglementation pour respecter l’Etat de droit. A cet égard, le rôle du juge financier de la Cour des comptes vis-à-vis des collectivités locales est considérablement renforcé avec la substitution du contrôle a posteriori à la tutelle, pour garantir en même temps que pour contrôler. Il s’agit en effet, d’un contrôle qui permet de rendre effectif l’autonomie financière des collectivités locales et de garantir la légalité des budgets et des comptes.
Par ailleurs, au regard de l’article 116 de la Constitution du 7 mai 2010, la Cour des comptes a une compétence consultative. Cette compétence ressort de certaines dispositions du décret D/2012/015/PRG/SGG, portant Règlement général de gestion budgétaire et de comptabilité publique qui dispose notamment en son article 47 que : « Les opérations de recettes, de dépenses, de trésorerie et de gestion patrimoniale définies dans le présent Règlement donnent lieu à production de pièces justificatives par l’ordonnateur, le comptable public ou le créancier. Ces pièces justificatives sont conservées par les ordonnateurs et les comptables publics chacun pour son compte. La liste de ces pièces justificatives ainsi que les modalités de leur production et de leur conservation sont fixées par arrêté du Ministre chargé des finances, après avis de la Cour des comptes ». De même, le compte général de l’Etat, signé par le Ministre chargé des finances, est produit à la Cour des comptes au plus tard le 30 juin de l’exercice suivant celui au titre duquel il est établi. La Cour des comptes publie son avis sur sa qualité et sa sincérité comptable, au plus tard le 15 septembre de l’exercice suivant celui au titre duquel il est établi[32].
C’est pourquoi, DOSSI (A.) estime que : « Paradoxalement, l’autorité des juridictions des comptes découle principalement de l’exercice de leurs activités non juridictionnelles »[33]. Dès lors, le rapport annuel de la Cour des Comptes, son avis sur la gestion des fonds publics sont attendus comme des évènements majeurs de l’activité financière de l’Etat guinéen. En effet, à partir des cas spécifiques, cette juridiction peut dénoncer la mauvaise gestion des fonds publics. Cette dénonciation constitue l’une des meilleures armes de dissuasion contre les mauvais gestionnaires qui éviteront d’être ciblés ou « épinglés » dans les prochains rapports de la juridiction des comptes.
Pour consolider ces efforts déjà consentis par l’Etat guinéen pour un contrôle externe dynamique, la déclaration des biens qui constitue une des modalités particulières de luttes contre la corruption et l’impunité, rentre aussi dans les attributions de la nouvelle Cour des comptes.
B : La déclaration des biens, une protection majeure des deniers publics
Ayant ratifié le protocole A/P2/12/01 sur la lutte contre la corruption en décembre 2002[34], combattre l’impunité et la corruption, constitue une tâche urgente et prioritaire pour la Guinée. Parce que face à elles, la démocratie est en danger, car la Constitution est vidée de sa substance, le pouvoir judiciaire est affaibli, la crédibilité politique de l’exécutif entamée. L’impunité est illégitime, elle constitue un affront à la primauté du droit. Prévue par la Constitution de 2010 en son article 36, la déclaration des biens oblige le Président de la République, les Membres du Gouvernement, ainsi que le Président de l’Assemblée nationale et les premiers responsables des institutions constitutionnelles, le Gouverneur de la Banque Centrale et les responsables des régies financières de l’Etat, de déclarer leurs biens[35]. Il s’agit de la déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou des fonctions sont publiées au journal officiel. La copie de la déclaration est communiquée à la Cour des comptes et aux services fiscaux.
La Cour des comptes est chargée de contrôler les déclarations des biens tels que reçus par la Cour constitutionnelle. Les écarts entre la déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou des fonctions doivent être dûment justifiés. L’application de cette disposition devrait permettre à la cour des comptes de suivre l’évolution du patrimoine des catégories mentionnées ci-dessus tout au long de leur carrière. Dans cet ordre d’idées, l’article 39 dispose que durant son mandat, le Président de la République ne peut, par lui-même, par un membre de sa famille, ni par autrui, acheter ou prendre à bail un bien appartenant au domaine de l’Etat, sans l’autorisation de la Cour constitutionnelle dans les conditions fixées par la loi. Il ne peut, par les mêmes moyens, prendre part aux marchés publics et privés pour les administrations ou institutions relevant de l’Etat ou soumis à son contrôle. C’est donc une interdiction de la prise d’intérêt dans les affaires publiques qui s’applique au même titre, au Premier Ministre, aux Ministres et aux Présidents des institutions constitutionnelles. La gabegie financière et la privatisation des biens publics qui ont marqué le régime du Président Lansana CONTE et la transition militaire qui a suivi, ne sont pas étrangères à l’introduction de cette disposition dans la Constitution par le constituant[36].
Conclusion
Le contrôle externe relève essentiellement de deux formes auxquelles il faut ajouter le contrôle juridictionnel et le contrôle par les acteurs socio-politiques en Guinée, à savoir le contrôle parlementaire ou politique. Par rapport au contrôle interne, il s’exerce généralement a posteriori. Autrement dit, ce contrôle vient compléter ou confirmer celui de l’Administration. Ce contrôle financier est politique, puisqu’il ne peut déboucher que sur une décision de nature politique. Quant au juge des comptes publics, c’est un juge spécialisé, son contrôle est un contrôle juridictionnel, puisque la décision rendue a la nature d’un jugement. La Guinée, comme dans d’autres pays francophones d’Afrique, a récemment institué dans sa Constitution, une Cour des Comptes. La mise en place de cette nouvelle institution participe aux exigences d’ordre institutionnel en matière de bonne gouvernance financière. Nous attendons que cette jeune institution, impose ses marques dans le contrôle externe des finances publiques en Guinée.
[1] Article 26 de la Constitution du 07 mai 2010
[2] Voir l’article 116 de la Constitution de 2010. La loi de règlement constate le montant définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses se rapportant à chaque année civile et approuve les différences entre les réalisations et les prévisions de la loi de finances de l’année, modifiée le cas échéant par les lois de finances rectificatives.
[3]Ibid., p. 23.
[4] Cour des Comptes, premier rapport d’activités 2016, avant-propos du premier Président, p. 10.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] La Cour des comptes a démarré ses activités après les nominations en janvier 2016, du premier président, du Commissaire général du Gouvernement, des Présidents de chambre, des commissaires du Gouvernement, du Secrétaire Général et en janvier 2016 de trois conseillers maîtres.
[8] Ibid.
[9] J. –P. DUPRAT, « l’exemple français de juridiction financière en trois questions », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p. 127.
[10] P. SEGUIN, « les juridictions financières dans la modernisation de la gestion publique », R.F.D.A., 2007, p. 437. Toutefois, le contrôle opéré par la Cour des comptes ne prit d’extension qu’avec la restauration et surtout la Monarchie de juillet, notamment avec la distribution aux chambres du rapport public, à la suite d’une réforme, en 1832 : la Cour des comptes, éd. Du CNRS, 1984, p. 448.
[11] Ibid.
[12] T. S. ALLOTCHEKPA et S. FELIHO, « le défi de l’archivage des comptes publics », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p. 105.
[13] ZOGBELEMOU (M. T), « La constitution du 07 mai 2010 (contexte et innovation) », Op. cit., pp. 1-23.
[14] Loi L/2002/22/AN du 20 décembre 2002, ratifiant le protocole A/SPI/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance, Additionnel au Protocole Relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité.
[15] Précisons que jusqu’en 1991 date de la mise en place de la Cour suprême, une Cour des compte créée par ordonnance n°109/PRG/SGG/89 du 30 mai 1989 qui fut abrogée en 1991..
[16] SAID (M. B.), Guinéens, adoptons la bonne gouvernance ! Op. cit. p. 43.
[17] Voir, M. T. ZOGBELEMOU, « La constitution guinéenne du 7 mai 2010, contexte et innovation », Op. cit. p. 6.
[18] Ibid.
[19] V. Daniel LAMARQUE, « Les nouvelles missions du juge financier dans un contexte de budgétisation par programme », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p. 58.
[20] A. GNIMASSOU, « le contrôle de performance outils et contraintes », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p.91
[21] Voir les articles 67 et suivants du décret D/2013/015/PRG/SGG portant Règlement général de gestion budgétaire et de comptabilité publique.
[22] A. THIERNO BARRO, « la contribution de la cour des comptes à la bonne gouvernance financière : l’exemple du Sénégal », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p. 27.
[23] Voir article 116 al. 2 de la Constitution du 7 mai 2010.
[24] M. J. BIOKOU, « contrôle des comptes-audit des comptes –évaluation des politiques publiques quel liens ? », R.B.S.J.A., n° 24, 2011, p. 85.
[25] V. Ibid.
[26] Ibid. p. 86
[27] A. DOSSI, « une cour des comptes pour quoi faire ? », R.F.D.A., n°4, juil.-août 2009, p. 21.
[28] La loi organique portant composition, l’organisation, le fonctionnement de la Cour des comptes et le régime disciplinaire de ses membres n’est pas à présent élaborée la Cour n’est donc pas opérationnelle encore. Conformément à l’article 160 de la Constitution du 7 mai 2010, les dispositions relatives à la Cour constitutionnelle, à la Cour des comptes, à l’Institution nationale indépendante des droits humains, au Médiateur de la République et au haut conseil des collectivités locales entreront en vigueur à la date de leur installation…
[29] LASCOMBE (M.) et VANDRIESSCHE (X.), « Prolégomènes : la nouvelle procédure applicable devant les juridictions financières », R.F.D.A., n°4, Juillet. Août 2009, pp. 813-823.
[30] Il s’agit de la commission de vérification des comptes et de contrôle des établissements publics.
[31] Voir les articles 47 et suivants du décret D/2013/015/PRG/SGG portant Règlement général de gestion budgétaire et de comptabilité publique.
[32] V. l’article 63 du décret D/2012/015/PRG/SGG portant Règlement général de gestion budgétaire et de comptabilité publique.
[33] A. DOSSI, « une cour des comptes pour quoi faire ? », Op. cit, p. 21.
[34] Loi L/2002/21/AN du 20 décembre 2002, ratifiant le protocole A/P2/12/01 sur la lutte contre la corruption.
[35] Il s’agit des biens immobiliers et les valeurs immobilières.
[36] ZOGBELEMOU (M. T), « La constitution du 07 mai 2010 (contexte et innovation) », Op. cit., p. 11.