Par Ansa KABA
Date de publication: 30 mai 2020
Note sur l’Auteur : Ansa KABA est un Juriste-Fiscaliste. Il est Directeur des Affaires Juridiques et Contentieuses du Fonds de Développement Industriel et des PME. Il est aussi Senior Associate à PricewaterhouseCoopers-Guinée. M. Kaba est titulaire d’un Master 2 en Droit des Affaires et Fiscalité obtenu à l’Université General Lansana Conté de Sonfonia.
L’une des dispositions novatrices de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE est la possibilité offerte aux associés minoritaires de demander en justice la désignation d’un expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations relatives à la gestion de la société.
L’expertise de gestion est organisée par les articles 159 et 160[1] de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. Elle ne fait l’objet d’aucune définition par l’Acte Uniforme. Toutefois, il résulte de l’analyse des articles précités qu’il s’agit d’un moyen mis à la disposition des associés visant à renforcer leur droit de contrôler la société. Selon M. Zolomian, « L’expertise de gestion est un mécanisme propre à certaines sociétés (SARL, SA, SAS) permettant aux associés de demander en justice la désignation d’un expert et de bénéficier ainsi d’informations sur une ou plusieurs opérations de gestion[2] ».
1. Conditions de désignation de l’expert
Selon l’article 159, « un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander à la juridiction compétente du siège social, statuant à bref délai, la désignation d’un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ».
Il résulte de cet article que pour le succès d’une procédure de demande d’expertise de gestion, l’associé (ou le groupe d’associé) qui introduit la demande d’expertise de gestion doit saisir le président de la juridiction compétente. En donnant compétence à la juridiction présidentielle, l’Acte uniforme fait de l’expertise de gestion, une procédure d’urgence et par conséquent, elle doit faire l’objet d’un référé prit conformément au décret D/98/No100/PRG/SGG du 16 juin 1998, portant code de procédure civile, économique et administrative.
Par ailleurs, pour le succès de la procédure, le ou les demandeurs doivent également posséder au moins le dixième[3] du capital social au lieu du cinquième auparavant[4]. En tout état de cause, si le dixième du capital n’est pas réuni, la demande d’expertise de gestion ne peut pas prospérer.
2. Le domaine et missions de l’expert
Il résulte de l’article 159 cité ci-haut que l’expertise de gestion ne peut porter que sur certaines opérations et non sur la totalité des opérations réalisées dans le cadre de la gestion de l’entreprise en cause. Il convient de retenir que l’Acte Uniforme ne donne aucune définition des opérations de gestion. Il revient au juge compétent d’apprécier si l’opération en cause entre dans le cadre de la gestion ou non. Selon O. Gallet « il ressort des jugements qu’il s’agit d’une opération décidée par les organes de gestion de la société, excluant ainsi les assemblées générales[5] ».
En réalité, les opérations visées par l’article 159 de l’AUDSC sont celles émanent des organes de gestion de la société et non des organes délibérants. Toutefois, ces dernières pourraient être éligibles dans certaines mesures. Dans son arrêt no 042 du 16 mai 2013, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) a admis que les décisions soumises à l’assemblée générale pour simple approbation sont susceptibles d’expertise de gestion[6]. On retient de cet arrêt que, par principe, les décisions de l’assemblée générale ne sont pas susceptibles d’être soumises à une expertise de gestion. Exceptionnellement, les opérations soumises à l’assemblée générale pour une simple approbation, sans analyse au fond, peuvent faire l’objet de demande d’expertise.
Les missions et les pouvoirs de l’expert désigné, sont définis par le juge des référés[7]. Sachant que le pouvoir discrétionnaire du juge n’est pas délimité par l’article 160 de l’Acte Uniforme, on peut en déduire qu’il lui revient également de fixer les limites de la mission, le nombre d’expert ainsi que la durée de l’expertise.
Toutefois, les missions assignées à l’expert doivent être fixées dans les limites des opérations de gestion en cause. La société doit faciliter l’accomplissement de la mission d’expertise en mettant à sa disposition tous les documents et informations sollicités en rapport avec les opérations en cause.
A la fin de sa mission et comme toute mission d’expertise, l’expert devra établir un rapport d’expertise qu’il doit ensuite communiquer au(x) demandeur(s), aux dirigeants sociaux et au commissaire aux comptes s’il en existe un.
Conformément à l’article 160 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, la rémunération de l’expert est supportée par la société dont les opérations sont en cause.
[1]Article 160 : S’il est fait droit à la demande, la juridiction compétente détermine l’étendue de la mission et les pouvoirs des experts. Les honoraires des experts sont supportés par la société. Le rapport est adresse au demandeur et aux organes de gestion, de direction ou d’administration ainsi qu’au commissaire aux comptes.
[2]Matthieu Zolomian, « Expertise de gestion : une opération de gestion peut-elle émaner d’associés? »LETTRE CREDA -SOCIETES du 7 février 201 8.
[3] Article 159 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du GIE.
[4] Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, Commentaire article 159, page 437.
[5]Olivier Gallet, « Halte aux fraudes – Guide pour manageurs et auditeurs », Dunud, Paris, 2014, 3e éd., p. 44.Voir également Athanase FOKO, « L’essor de l’expertise de gestion dans l’espace OHADA », PENANT, 867, p. 192.
[6]https://juricaf.org/arret/OHADA-COURCOMMUNEDEJUSTICEETDARBITRAGE-20130516-0422013
[7]Par définition, « l’expert est une personne compétente disposant d’une expérience sur un sujet donné. Au sens juridique, l’expert est la personne désignée dans le cadre d’une expertise, c’est-à-dire d’une procédure destinée à éclairer une autorité chargée de prendre une décision » – Encinas de Munagorri, Rafael, « Quel statut pour l’expert ? », Revue française d’administration publique, vol. no103, no. 3, 2002, p. 379.