Par Maitre A. Oumar Koulibaly
Date de publication: 26 juin 2023
Note sur l’Auteur : Maitre A. Oumar Koulibaly est Avocat au Barreau de Guinée. Il conseille les entreprises guinéennes en droit des affaires et fiscalité.
Dans cet article, Me Koulibaly analyse le nouveau régime du permis de travail pour les travailleurs étrangers en Guinée. Par ailleurs, il remet en question la position de l’Agence Guinéenne pour la Promotion de l’Emploi (AGUIPE) qui refuse l’enregistrement des contrats de travailleurs étrangers en Guinée, issus de l’espace CEDEAO sous le prétexte que ceux-ci ont l’obligation d’obtenir un permis de travail.
A l’heure où le gouvernement guinéen s’active sur les reformes de la promotion du contenu local, le ministre de l’Enseignement technique, de la formation professionnelle et de l’emploi et celui de l’économie et des finances viennent de prendre un arrêté conjoint rehaussant le coût d’obtention du permis de travail en Guinée pour les travailleurs étrangers d’une part et catégorisant pour la première fois, le permis de travail d’autre part[1].
Dans le même sillage, il est prévu une pénalité de régularisation après l’entrée d’un travailleur étranger sur le territoire guinéen avant d’être préalablement déclaré auprès du service public d’emploi et une pénalité due au retard de renouvellement du permis.
Par ailleurs, dans une circulaire en date du 13 juin 2023[2], le Ministre en charge de l’emploi a invité toutes les entreprises à fournir à l’Agence Guinéenne pour la Promotion de l’Emploi (« AGUIPE ») la liste complète de leurs travailleurs étrangers dans un délai de quinze (15) jours ouvrés.
Toutefois, s’il est vrai que le coût d’obtention du permis de travail est relativement bas en Guinée par rapport à d’autres pays de la sous-région, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité de la catégorisation du permis (I), mais aussi des sujets concernés par l’obtention d’un permis de travail en Guinée conformément à la législation en vigueur (II).
1. De l’opportunité de la catégorisation du permis de travail
Conformément à l’arrêté conjoint susmentionné, on dénombre maintenant trois (3) catégories de permis dont les tarifs dépendent de la qualification du bénéficiaire, en l’occurrence le travailleur étranger.
Cet arrêté fixe le tarif du permis pour les travailleurs étrangers comme suit :
- Le permis A pour les cadres dont le tarif est fixé à 3 000 USD
- Le permis B pour les agents de maîtrise dont le tarif est fixé à 2 000 USD
- Le permis C pour les employés dont le tarif est fixé à 1 200 USD.
Toutefois, ledit arrêté ne définit ni les qualifications se rapportant aux différentes catégories ; se bornant strictement à les citer à savoir : les cadres, les agents de maîtrise, les employés. Il ne renvoie non plus à d’autres textes, les définitions relatives à ces qualifications.
Si par extension, on peut se rabattre sur le code du travail et ses textes d’application qui visent les notions de cadres et agents de maîtrise, tel n’est pas le cas pour la catégorie du permis C qui vise les employés. Sans prétendre se lancer dans une interprétation tous azimuts, il convient juste d’attirer l’attention sur le fait que la notion « d’employé » est un terme qui englobe toutes les autres catégories visées dans cet arrêté et renvoie généralement à toute personne, qui, dans le cadre d’une relation de travail, fournit une prestation salariée. C’est d’ailleurs ce qui ressort du Larousse qui définit l’employé comme une personne à qui l’on confie un emploi. Sur la base de cette définition, on peut à bon droit, soutenir que le « cadre », « l’agent de maîtrise » sont aussi des employés.
Ainsi, n’y aurait-il pas une ambiguïté à faire référence à « l’employé » dans le cadre de l’obtention du permis de la catégorie C dont le tarif demeure le plus abordable au vu de cet arrêté ? Et qu’opposerait le service public d’emploi lorsqu’un employeur embauche un salarié étranger qui doit occuper une fonction de cadre, mais le qualifie simplement dans son contrat de travail comme « employé » ?
Tout porte à croire dans ces circonstances, que cette imprécision pourrait susciter plusieurs difficultés en pratique.
Par ailleurs, nous estimons qu’il est légitime de s’interroger sur ce que perdrait le Ministère en charge de l’emploi dans l’hypothèse où elle optait pour un tarif fixe applicable à tout travailleur étranger en Guinée, comme ce fut le cas avec les précédents arrêtés[3] ?
A notre avis, cette démarche aurait pu apporter une clarté remarquable ne laissant doute à aucune possible ambiguïté dans le cadre de l’obtention du permis de travail en Guinée. Mais l’administration connaissant mieux les motifs de cette réforme et la spontanéité qui l’a caractérisé, pourrait peut-être résoudre les difficultés pratiques qui surgiront lors de sa mise en œuvre.
2. Des sujets concernés par l’obligation d’obtention d’un permis de travail en Guinée
L’épineuse question de l’obtention de ce document administratif par les travailleurs étrangers suscite des interrogations chez les praticiens du droit sur le refus systématique du service public d’emploi (AGUIPE), de l’enregistrement des contrats de travailleurs étrangers en Guinée, issus de la zone CEDEAO sous le prétexte que ceux-ci ont l’obligation d’obtenir un permis de travail.
En effet, à la direction du service public d’emploi, les entreprises se heurtent à toute sorte de difficultés dans le cadre de l’enregistrement des contrats de travail des employés étrangers ressortissant de la CEDEAO.
La problématique est la suivante : ce service soutient que les ressortissants de la CEDEAO sont des étrangers au même titre que ceux issus d’autres régions du monde et exige que les employeurs s’acquittent du tarif du permis de travail préalablement à l’enregistrement des contrats de travail. Il considère sans prise de position officielle[4] que les Guinéens employés dans l’espace CEDEAO sont tenus d’obtenir un permis de travail préalablement à leur embauche. Donc on en déduit implicitement qu’il invoque un principe de réciprocité que la législation guinéenne n’impose pas.
A travers les lignes qui suivent, nous allons tenter d’examiner le bien-fondé de cette pratique controversée du service public d’emploi tout en questionnant sa légalité.
A cet égard, l’article 131.1 du Code du travail dispose : « Lorsqu’un employeur envisage d’embaucher un travailleur étranger, en dehors de l’espace de la Communauté Économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il doit obtenir l’autorisation préalable du Service public d’emploi dans les conditions déterminées par arrêté du ministre en charge de l’Emploi.
L’embauche des travailleurs étrangers est régie par une réglementation spéciale ».
Dans la même veine, l’article 1er de l’arrêté d’application de 2015[5] sur la main d’œuvre étrangère dispose : « Tout Employeur qui envisage de recourir aux services d’un travailleur étranger, en dehors de l’Espace de la Communauté Économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), doit obtenir une autorisation préalable du service Public d’Emploi (l’Agence Guinéenne pour la Promotion de l’Emploi), représentant le Ministère en charge de l’Emploi ».
Des deux dispositions quasi identiques, il ressort clairement que loi et le texte d’application s’alignent sans ambiguïté sur le fait que les travailleurs étrangers visés par l’exigence d’une autorisation préalable et par conséquent, l’obligation d’obtention du permis de travail en Guinée, sont exclusivement les travailleurs en dehors de la zone CEDEAO. La lettre des deux dispositions est tellement claire qu’il n’y ait besoin de se lancer dans une interprétation de quelque nature qu’elle soit.[6]
Au vu de la clarté de ces dispositions, l’on a le droit de questionner la position de l’AGUIPE qui refuse systématiquement l’enregistrement des contrats de travailleurs étrangers en Guinée, issus de la zone CEDEAO sous le prétexte que ceux-ci ont l’obligation d’obtenir un permis de travail.
Par ailleurs, c’est l’occasion de rappeler que cette position du législateur guinéen est conforme au Protocole Additionnel de la CEDEAO du 1er juillet 1986 qui dispose en son article 23 alinéa 2 : « Les travailleurs migrants qui se trouvent en situation régulière bénéficient de l’égalité de traitement avec les nationaux de l’État d’accueil en ce qui concerne l’exercice de leur emploi ou de leur profession ». C’est pourquoi, nous estimons que, l’obligation d’obtenir un permis de travail ne vise que les travailleurs étrangers hors CEDEAO ; ceux issus de cet espace économique ne pouvant être considérés comme étrangers dans un Etat membre dans le cadre de l’exercice d’un emploi donné.
Pour nous praticiens, face à ces difficultés et cette persistance injustifiée de l’AGUIPE, le département de tutelle est dans l’obligation de rappeler à ces services, l’impérieuse nécessité du respect rigoureux des lois en vigueur ainsi que des engagements internationaux souscrits par la République de Guinée ; il y a urgence. Le cas échéant, un autre contentieux juridictionnel ne serait pas de trop.
Pour finir, il est à noter que le travail laborieux du Ministère en charge de l’emploi ayant abouti à la réforme du permis du travail reste tout de même à saluer pour ces avantages, tant au regard des statistiques sur les travailleurs étrangers présents en Guinée que sur la mise en place de la biométrie dans ce domaine. Mais dans une République ou la justice se dit être la boussole, le respect de la loi doit en être le gouvernail !
[1] Arrêté conjoint AC/2023/1222/METFPE/MEF/CAB/SGG du 31 mars 2023 portant fixation des tarifs du permis de travail en République de Guinée
[2] Circulaire n°182/METFPE/CAB/2023 du 13 juin 2023
[3] Arrêté conjoint AC/2015/083/METFPET/MEF/CAB/SGG du 30 janvier 2015 fixant le tarif du permis de travail en République de Guinée.
Arrêté A/1313/MEF/CAB du 19 mars 1986.
[4] Aucun texte ne fonde cette prise de position, même un courrier malgré les demandes de clarification des entreprises.
[5] Arrêté A/2015/085/METFPET/DNTLS/CAB SGG du 30 janvier 2015, portant réglementation de l’utilisation de la main d’œuvre étrangère.
[6] « Intepretatio cessat in claris ».