Par Djakaria Diakité
Date de publication: 9 mai 2022
Note dur l’Auteur: Monsieur Djakaria Diakité, est un Juriste fiscaliste, Manager au Cabinet Nimba Conseil. Il est titulaire d’un Master 2 en droit des affaires- Droit OHADA de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia.
Le nouveau code général des impôts (CGI) entrée en vigueur le 1er janvier 2022[1] a introduit d’importants changements dans l’ordonnancement fiscal guinéen. Parmi ces réformes, figure en bonne place la suppression de la limitation triennale du report des déficits fiscaux.
De cette réforme, on tire essentiellement deux éléments. D’une part, la suppression de la limitation triennale du report des déficits s’annonce comme une bouffée d’air pour les contribuables ; d’autre part, par ses effets collatéraux, elle fait perdre aux Amortissements Réputés Différés (ARD) sa vigueur d’antan.
Le verrou sauté, un soulagement pour les contribuables
En effet, sous le régime de l’ancien code général des impôts[2], le déficit subit pendant un exercice est considéré comme une charge de l’exercice suivant. Toutefois, ce déficit n’était imputable que dans la limite des trois (3) exercices suivant l’exercice qui a enregistré le résultat déficitaire.
En d’autres termes, le déficit réalisé au cours de l’exercice N-1 est une charge déductible du résultat de l’exercice N. Si la totalité du déficit n’a pu être déduit de l’exercice N, il est reporté sur les exercices suivants. Si au bout de trois (3) ans le contribuable n’a pu déduire la totalité de ses déficits, il les perdait définitivement.
Cette limitation triennale des déficits n’était pas du bon goût pour tous les contribuables car elle pénalisait sérieusement certains d’entre eux surtout, ceux qui font des investissements massifs pendant leur phase d’installation. C’est le cas souvent des entreprises engagées dans de projets d’infrastructures à préfinancement telles que les routes, les chemins de fer, les énergies, les mines etc.
Aussi, à la suite de la réforme du droit comptable OHADA en 2018[3], on a assisté à l’aggravation du sort des déficits réalisés par certains contribuables en phase d’installation à cause semble-t-il, de l’abandon de l’immobilisation des charges opérationnelles. Dans le cas de certaines entreprises, l’immobilisation des charges pendant la phase d’installation était une solution comptable et fiscale très pratique pour éviter la limitation du report des déficits en ce que les charges immobilisées, sont amorties et mises en déductions pendant la phase de production ou d’exploitation.
Alors qu’en est-il de la nature du déficit reportable ? En effet, le déficit est d’abord comptable c’est-à-dire lorsque les charges de l’exercice excédent les produits réalisés. Le déficit devient fiscal par le biais d’un retraitement extracomptable qui consiste à déduire du résultat, les produits non imposables et à réintégrer dans le résultat, les charges non déductibles fiscalement. Ainsi, le déficit légalement reportable est celui fiscal et non le déficit comptable. C’est donc une erreur le fait de reporter le déficit comptable en lieu et place du déficit fiscal.
Ainsi, soucieux de ne perdre en tout ou partie des déficits antérieurs, certains contribuables ont pensé à des solutions plus optimales pourtant consacrées par l’ancien CGI. Il s’agit notamment du recours aux ARD qui se sont révélés comme une palliative à la limitation triennale des déficits.
De notre point de vue, la limitation du report des déficits ne répondait pas à une logique congrue si ce n’est la volonté du législateur à pouvoir substituer aux déficits le plus tôt que possible, un bénéfice imposable afin d’obtenir le paiement de l’impôt. La leçon est donc bien claire, « faire du bénéfice ou perdre ses déficits ».
De même, en plus d’être pénalisant pour les contribuables, la limitation du report des déficits est perçue comme un frein à l’investissement et donc un coup à l’attractivité de notre système fiscal. A titre illustratif, un contribuable est pénalisé, lorsque les dotations aux amortissements des engins lourds mobilisés pour la construction d’une route à péage sont perdues au bout de trois (3) ans alors que les premiers bénéficies sont attendus dans 5 ans, date de la mise en mise en service de l’infrastructure. Dans de pareilles circonstances, une des solutions qui s’offre au contribuable, serait de constituer des ARD en période déficitaire. Ainsi, il pourra les imputer indéfiniment.
Enfin, certes la suppression de la limitation triennale du report des déficit est salvatrice au regard de ce qui précède, mais elle demeure tout de même encadrée à certains égards.
L’usage du déficit est fiscalement encadré
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code général des impôts, les déficits sont désormais reportables indéfiniment.
Toutefois, cette suppression n’est pas sans condition. En effet, la première condition visée par le nouveau CGI en son article 107.I est la limitation de l’imputation du déficit à 70% du bénéfice imposable de l’exercice concerné. En d’autres termes, lorsque l’entreprise a réalisé un déficit qui doit être imputé sur les bénéfices d’un exercice donné, le déficit réellement imputable sera égal à 70% du résultat dudit exercice.
En plus de cette limitation, il faut noter que les déficits réalisés par les sociétés exonérées totalement de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ne sont pas reportables dans les États financiers desdites entreprises en période de droit commun. Cette position du législateur nous semble logique dans la mesure où sous le régime dérogatoire, les bénéfices réalisés ne sont pas soumis à l’impôt sur le bénéfice.
La création des ARD en période déficitaire perd toute sa vigueur
Bien que la limitation triennale du report des déficits ait été pénalisant pour certaines contribuables, la créativité n’a cependant pas eu de limite quand la solution des ARD a montré tout son intérêt.
En effet, la constitution des amortissements réputés différés s’est montrée comme un rempart à la limitation des reports de déficit. Les contribuables l’utilisaient pour non seulement améliorer leur résultat fiscal en vue de l’imputation éventuelle des acomptes ou des avances d’impôts accordés à l’Etat mais surtout, pour pouvoir reporter les déficits non apurés de manière indéfinie.
A titre illustratif, l’Impôt minimum forfaitaire (IMF) payé en début d’exercice s’annonce comme avance d’impôt imputable sur l’impôt sur le bénéfice. Lorsqu’il n’a pu être imputé en totalité ou en partie, la fraction non imputée est définitivement acquise au trésor public. L’IMF n’étant pas une charge déductible, le contribuable devra le perd en cas de déficit. Pour éviter donc cette perte, le contribuable peut constituer des ARD dont l’effet est de générer un résultat fiscal imposable pour pouvoir imputer la totalité de son IMF sur l’impôt dû.
Ainsi, par l’effet des ARD, le contribuable pouvait de manière légale améliorer le résultat imposable en vue de l’imputation des avances d’impôts accordés au trésor public et sans perdre le stock de déficits non imputé.
Certes, limités seulement aux dotations régulières et non exclues fiscalement du droit à déduction, les ARD étaient efficaces et constituaient des alternatifs aux déficits ordinaires dont le report était limité.
Depuis que le verrou de la limitation des déficits a sauté, la constitution des ARD perd en quelque sorte son intérêt. Il n’est plus intelligible de créer des ARD quand on a le droit de reporter indéfiniment ses déficits. C’est pourquoi d’ailleurs, le nouveau Code général des impôts a abrogé l’article 101.V de l’ancien CGI qui constituait le siège du report illimité des ARD.
En conclusion, nous notons que la suppression de la limitation du report des déficits est une réforme majeure qui mérite d’être mise en lumière. Elle vient procurer un avantage important aux contribuables qui désormais, peuvent reporter sans limitation dans le temps, les déficits réalisés au cours des exercices antérieurs.
Une avancée salvatrice de la part du législateur à consommer avec modération quand on sait que le report de déficit est toujours assorti des conditionnalités.
[1] Nouveau CGI a été promulguée par la loi L/2021/032/AN du 4 juillet 2021 et publié au journal officiel de la République à la date du 27 août 2021
[2] L’article 107 de l’ancien Code Général des Impôts
[3] Acte uniforme révisé relatif au droit comptable et de l’information financière